un « faussaire de la Légitimité française » 1 ou le schisme sévillan » 2

Le mot « faussaire » emprunté à Jean Silve de Ventavon1 peut paraitre bien sévère et l’expression employée par Stéphane Rials (2)i bien excessive, tant le personnage concerné semble avoir traversé brièvement l’Histoire de France en cette fin du XIXème siècle si tumultueux. Mais, François – Henri de Paule de Bourbon-Séville s’est « invité à la table » de nos Rois et a convoité et brigué le Trône de France. Il a alors contribué à diviser le Légitimisme. Dès lors, on comprendra les fondements des qualificatifs donnés par ces deux historiens qui se sont penchés sur le devenir de la Couronne royale après la mort du comte de Chambord, duc de Bordeaux, Henri V de France, à Goritz, le 24 août 1883, à 7 heures 27 minutes … Cet article consacré à l’auteur du « Schisme sévillan » me permet donc de « zoomer » sur les Bourbons d’Anjou dits « Bourbon d’Espagne », contemporains de la période abordée et héritiers naturels de la Couronne de France (cf. figure 1).

Il pourrait être intéressant d’en faire de même à propos de leurs successeurs afin de rendre plus familière, à chacun d’entre nous, la lignée royale des Bourbon d’Anjou jusqu’aux Princes Louis-Alphonse et Louis, son fils cadet, qui nous sont plus proches et, donc, mieux connus. Mais, présentement, je dois souligner que le document qui m’a fait connaître cette tentative d’investir le Trône de France développe un argumentaire et témoigne de l’ambiance politique de l’époque de façon éloquente et très circonstanciée, ce qui le rend particulièrement précieux, bien au-delà de la temporalité quelque peu éphémère et relativement « confidentielle » du personnage central… Approchons-nous donc un peu plus de ce document qui est une proclamation adressée aux Français à la date du 4 janvier 1899 !

Il se présente sous forme d’un papier rose un peu défraîchi (la date y est mentionnée de façon manuscrite, en bas à droite) et d’une texture très fine et très fragile qui a néanmoins échappé aux vicissitudes du temps. Ses dimensions sont les suivantes : 60 cm X 40 cm. Il a été imprimé à Paris, chez

Wattier frères, imprimerie qui existait encore en 19073 mais dont la trace se perd ensuite, semble-t-il.

Sur ce fond rose, l’impression de couleur noire, et les termes en gros caractères n’ont pu que capter l’attention de l’ami érudit qui « chinait » en Deux Sèvres et qui m’a confié cette « pépite » pour la « décrypter », ce dont je lui suis infiniment reconnaissante. Celle-ci a donc traversé plus d’un siècle, sans que l’on sache malheureusement par quel cheminement, avant de nous être révélée soudainement, suite au désintérêt probable d’un « héritier du souvenir » qui n’a pas mesuré la valeur de témoignage d’une autre époque (et quelle époque !) d’un document à l’apparence faussement surannée (car bien des analogies peuvent être faites avec notre temps !).

Ce document est donc une proclamation adressée aux Français, « interpellés » trois fois en gros caractères au nom de la Maison de France et de François de Bourbon, duc d’Anjou. Ma première réaction, à la découverte de ce document, fut de dire qu’il n’y a pas eu de « François » dans la lignée des Bourbons issus d’Anjou à cette période. Un autre prince était-il en train de vouloir s’arroger le titre de duc d’Anjou ? C’est une histoire déjà jugée en 1897 (voir troisième partie du présent texte), et qui le sera à nouveau près d’un siècle plus tard, en 1988… 

Intéressons-nous d’abord au signataire de la proclamation qui n’est pas le « personnage central » de celle-ci, mais un « Comité central Légitimiste de France »… Ce qui a dû interpeller plus d’un lecteur de l’affiche, à l’époque, et même aujourd’hui…, car il ne faut pas confondre cet « organe » de communication avec celui existant à la même époque, sans doute plus connu car au service des seuls successeurs légitimes de Henri V, les Bourbon d’Espagne, dont nous reparlerons. Je veux parler du « Comité central de Propagande Légitimiste » mis en place dès 1884 et qui a rallié les grands noms du Monarchisme tel que le Général de Cathelineau, Urbain de Maillé et Maurice d’Andigné. Les congrès annuels de ce Comité ont pu atteindre les 600 personnes en 1887, et les rassemblements périodiques (dont le 21 janvier à l’église de la Madeleine à Paris) jusqu’à 3000 personnes en 1890 (à Ste Anne d’Auray pour la St Michel). Des comités locaux ont participé à ramifier cet organe de communication, comme Henri V l’avait lui-même encouragé avec les comités royalistes qui avaient été dissouts après son décès.

Ce « Comité central de Propagande Légitimiste » a, lui-même, survécu jusqu’en 1914 mais, en 1890, sa dénomination a évolué. Il devint alors le « Conseil Central des Comités Légitimistes ». Mais, jamais, cette structure fédérative au service des héritiers de Henri V n’a revêtu l’intitulé figurant au bas de la proclamation du 4 janvier 1899 : « le Comité central légitimiste de France » ! Donc, il s’agit bien d’un autre organe de communication qui laissa place, d’ailleurs, en 1903, à un « Comité national du grand parti royaliste de  »rance", et semble avoir survécu jusque dans les années 1910… (voire au-delà sous d’autres formes…).

Qui l’animait ? Comment un tel appel aux Français a-t-il pu être diffusé ? Quel a été le retentissement revendiqué ou réel d’une telle proclamation ? Et, en premier lieu, comment un prince « dissident » a-t-il pu prendre place sur la « scène » politique française de cette fin du XIXème siècle républicaine, déjà « riche en prétendants » ? Quels ont été les combats et arguments destinés à promouvoir sa « candidature » au trône de France ? Quel a été le contexte de cette action ? Qui était ce François (Henri) de Paule, duc de Séville, se revendiquant Bourbon d’Anjou ?

Combats et arguments de la proclamation du 4 janvier 1899

A) Sans contestation, car cité dès la première ligne, « le Parti Orléaniste » apparait comme un « ennemi » majeur, et, quand on se prétend duc d’Anjou, cela ne surprend pas ! A cet égard, les arguments présentés ont, eux-mêmes, été déjà exprimés par les « carlistes », royalistes henriquinquistes ralliés à la lignée des Bourbons d’Espagne, qui estiment que l’ordre dynastico-politique découle de l’ordre familial : « La génération de Louis, duc de Bourgogne, premier fils du Grand Dauphin fils de Louis XIV, (étant) tarie à la mort d’Henri V, l’Ainesse de la Maison de France ou de Bourbon appartenait (désormais) à celle de Philippe V, deuxième fils du Grand Dauphin, au prince Jean de Bourbon ainsi devenu Jean III, Roi de France et de Navarre » (1ii).

- la « soi-disant » fusion entre branches aînée et cadette, qui, cependant, n’a pas conduit à ce que ni le Comte de Paris (prétendant entre 1883 et 1894, année de son décès), ni son fils aîné, le duc d’Orléans (lui-même prétendant entre 1894 et …1926), ne soit en tête du cortège funèbre de Henri V de France. En effet, de par la volonté de ce dernier, c’est la lignée des Bourbons d’Espagne incarnée alors par le comte de Montizon, Jean III, descendant du petit-fils de Louis XIV, devenu Philippe V d’Anjou et roi d’Espagne en 1700, qui devait marcher en-tête des Capétiens en tant que leur aîné lors des obsèques du petit-fils de Charles X, accompagné par ses propres fils et, en premier lieu, Don Carlos, duc de Madrid, Charles XI pour les « carlistes »français.

- les « tromperies » du parti orléaniste constitue un deuxième argument contre ses représentants, le Comte de Paris puis le duc d’Orléans, avec le triste rappel de Philippe-Egalité, régicide (on notera que ne sont pas mentionnées, à charge de la branche cadette, l’usurpation du trône du petit-fils de Charles X en 1830 et, plus récemment, la tentative de s’arroger, en 1892, les pleines armes de France…).

- l’accusation de « captation » du suffrage universel par le parti orléaniste est peut-être moins connue ; il semble, néanmoins, possible de décrypter la préoccupation du parti « sévillan » à cet égard… Rappelons, d’abord, que le suffrage universel, issu de la révolution de 1848, a profité au candidat-président Louis-Napoléon en 1849… Il aura fallu, ensuite, attendre 1877 (les « suites politiques » de la proclamation de l’héritier du trône en faveur du Drapeau Blanc), pour que ce mode de scrutin ne connaisse plus d’entraves majeures mais, seulement, une « valse-hésitation » entre scrutin de liste (1885), plus favorable à la droite, et le scrutin uninominal (1889), plus profitable à la gauche républicaine...

La collecte des voix électorales semblait être, alors, devenue incontournable pour tout parti ou personnalité briguant le mandat national suprême… Dans un tel contexte, après avoir été socialement très « en vue » dans les années 1880 jusqu’à la Loi d’exil de 1886, il est à observer que, dans les années 1890, les Orléans ont su encore attirer à eux, non seulement un public plus libéral se retrouvant dans leurs idées économiques et politiques, mais, aussi, d’irréductibles monarchistes qui ne voulaient pas se « rallier » à la forme républicaine du gouvernement pourtant recommandée par le Pape Léon XIII (1891 / 1892) comme on le verra plus loin… Monarchistes dont le soutien manquera au prince « dissident » qui comptait sur cet appui puisque l’aîné des Bourbon d’Espagne semblait y avoir lui-même renoncé en se soumettant à l’encyclique pontificale du « Ralliement ». Mais les Orléans ne se rallièrent pas et poursuivirent de ce fait une captation de voix au profit du (des) partis qui continuaient à les soutenir nonobstant la Loi d’Exil.

B) Plus surprenants sont les combats menés, et les accusations exprimées, par le prince sévillan, à l’égard de ses propres cousins aînés, les Bourbon d’Espagne qu’il entend évincer de leur héritage royal pour au moins deux motifs : leur désintérêt apparent vis-à-vis de la France en raison de la primauté du combat carliste mené en Espagne, et le traité d’Utrecht de 1713…

Les héritiers de la Couronne de France contemporains du « schisme sévillan » (2) sont, alors, rappelons-le, selon l’ordre familial évoqué précédemment : Jean III, Comte de Montizon (1822 / 1887) et son fils ainé, Dom Carlos, Duc de Madrid, Charles XI (1848 / 1909)… Cependant, nous verrons que, du fait de sa longévité, François de Bourbon-Séville leur survivra et « connaîtra » plusieurs de leurs successeurs, Jacques 1er, Charles XII, Alphonse 1er et Henri VI. Pour l’heure, en quoi les deux héritiers pré-cités, Jean III puis Charles XI, auraient « démérité» et renoncé à la Couronne de France, comme le clame le comité central légitimiste de France signataire de la proclamation du 4 janvier 1899 ?

Selon l’argumentaire de la proclamation, Jean III et Charles XI, son fils, prétendent également à la Couronne d’Espagne et ceci les détourne de leurs devoirs à l’égard de la France … Cet argument renvoie au combat « carliste » mené en Espagne depuis 1830 et qu’il nous faut, au moins brièvement, exposer. Depuis cette date, existe également un mouvement politique légitimiste en Espagne qui revendiquait alors le trône pour la branche aînée des Bourbon d’Espagne, en faveur du Comte de Molina (père et grand-père de Jean III et de Don Carlos), en tant que premier frère cadet du souverain alors régnant, le Roi Ferdinand VII. En effet, celui-ci, en l’absence d’héritier mâle, avait décidé de transmettre la Couronne d’Espagne à sa fille aînée Isabelle.

Celle-ci deviendra Isabelle II à compter de 1833, d’abord sous la régence de sa mère puis de 1843 jusqu’en 1868, laissant le trône d’Espagne à Alphonse XIII qui régnera de 1886 à 1931 après son père, Alphonse XII, roi restauré en 1874 (à la suite de la révolution espagnole du général Prim en 1868 et les « Sexenio democratico »).La décision de Ferdinand VII, néanmoins confortée par la Pragmatique Sanction de 1830, dérogeait à la Loi Salique établie en 1713 par le roi régnant, Philippe V d’Espagne.

Cette modification de succession, sans le concours des Cortes, conduisit donc les « Carlistes » à combattre pour que le trône d’Espagne échoit au frère cadet du roi, reconnu sous le nom de Charles V (cf. figure 3) et qui mourut en 1855 Son fils aîné, le comte de Montemolin, lui succéda alors mais mourut à son tour en 1861 sans descendance. Donc, c’est son propre frère, Jean III, qui devint désormais le prétendant « carliste » (à partir de 1861), puis, aussi, le successeur au trône de France en 1883 ! A l’époque de la proclamation du 4 janvier 1899, son fils, Don Carlos, « notre » Charles VII, cumulera les deux « héritages » et, ce, durant toute son existence avant que la lignée carliste directe ne s’éteigne avec son fils Jacques, duc d’Anjou et de Madrid, sans descendance, mort en 1931, puis avec l’oncle de ce dernier, duc de San Jaime, sans descendance, mort en 1936. Cependant, de nos jours, le mouvement légitimiste espagnol existe toujours, et le « trait d’union » avec les légitimistes français revivifié, en particulier depuis le choix du monarque fait par le général Franco… Mais ceci nécessite un autre article !

L’autre argument du Comité central légitimiste de France à l’encontre de la « branche d’Anjou » revient sur une thématique plus connue de ceux qui s’intéressent à l’Histoire de France en général, le Traité d’Utrecht de 1713, mais sans forcément en mesurer la portée réelle…, car s’il s’agit bien d’un traité international au vu de son contexte et de ses signataires, il n’a pas la même portée juridique que ceux d’aujourd’hui eu égard, au moins pour la France, à l’absence de Constitution écrite au début du XVIIIe siècle qui aurait identifié leur existence et leur préséance sur notre droit national… Les Lois fondamentales du Royaume de France étaient, quant à elles, réputées immuables. Nul, fut-il Roy, n’avait le pouvoir de modifier leur application, a fortiori dès lors que les règles de succession au Trône de France pouvaient en être impactées. Selon le droit monarchique, la Couronne de France appartient à l’aîné des Capétiens et celui-ci ne peut être déclaré indisponible

Rappelons que le traité d’Utrecht est intervenu pour finir une guerre d’Espagne douloureuse pour le trône et le règne de Louis XIV, en particulier quand il se fut agi de conforter le trône d’Espagne pour son petit-fils contre les Anglais et les Autrichiens peu enclins à voir ainsi s’étendre l’aire d’influence de la France. Certes, les souverains de chaque pays concerné ont dû procéder à un enregistrement par les instances nationales et l’ont fait (Cortes en novembre 1712, Parlement de Paris en mars 1713). Il n’en reste pas moins que le roi de France ou un héritier du Trône de France ne peut disposer de ses droits en la matière, ce qui dénie pour les successeurs toute obligation de renoncement à cumuler deux Couronnes. Je ne boude pas le plaisir de préciser que même la Constituante, au début de la révolution française, devait elle-même, insérer dans l’article 1ier du titre III de la constitution de 1791, qu’il « n’était pas préjugé de la valeur des renonciations dans la race actuelle régnante ».

Donc, en premier lieu, qu’en fut-il réellement du désintérêt et des renoncements invoqués au passif des Bourbons d’Espagne, dans le but de « promouvoir la candidature » de François de Bourbon–Séville ?
« Il n’y a pas de fumée sans feu » mais, cependant…
En premier lieu, rappelons que Jean III refusa dès le 3 septembre 1883, quelques heures avant les obsèques de Henri V de France, de signer la renonciation à ses droits au trône de France qui lui fut présentée par un ancien conseiller d’Etat, M. de Bellomaire, mandaté par le comte de Paris ! Ce fait est très important. Il illustre ce qui a été dit précédemment, à savoir qu’aucun héritier de la Couronne de France ne peut disposer de ses droits mais, aussi, qu’aucune règle de nationalité ne peut primer sur la tradition royale française1. Cependant, les soutiens et proches français de l’Héritier de la Couronne et, notamment, Joseph de Bourg, se désolent de son peu d’action en France, voire de ses frasques et de son libéralisme. Mais, en 1883, ne s’agissait-il pas surtout d’un homme épuisé par sa vie passée et son propre combat carliste (qui lui avait fait connaitre les geôles de Napoléon III) et qui mourut quatre années après Henri V, ce qui signifie peu de temps pour se consacrer aux affaires de la Couronne de France même si, depuis 1868, il avait transmis à son fils aîné la charge de celles d’Espagne ?
Intéressons-nous donc, maintenant, à Charles XI car il est véritablement l’Héritier de la Couronne de France au moment de la proclamation de 1899, son père s’étant éteint en 1887.

Jean III, comte de Montizon

Rappelons que sa mère est la propre sœur de la Comtesse de Chambord, Marie-Béatrice de Modène. Il fut, lui-même, bien présent en tête des Capétiens lors des obsèques de Henri V (en septembre 1888, il aurait eu ces mots fameux et chambordiens : « Je suis le Roi de toutes les libertés, je ne serai jamais le Roi de la Révolution »), et la moitié des légitimistes s’étaient ralliés à lui.
Pourtant, dans les années suivantes, il fut effectivement rapporté que ses interventions dans la politique française étaient peu nombreuses, alors qu’ayant échoué dans son combat carliste (le dernier des trois conflits armés s’est achevé en 1876), il eût pu s’y consacrer davantage. Dans ce contexte, son acceptation de l’encyclique du pape Léon XIII sur le ralliement à la république « au milieu des sollicitudes » (16 février 1892), ralliement destiné à apaiser l’anticléricalisme en France et à encourager une politique plus sociale, a contribué fortement à diviser ses soutiens (certains se rapprochant des Orléans non « ralliés », voir précédemment) et n’a pu qu’attiser les prétentions à la Couronne de François de Bourbon-Séville ; d’ailleurs, de grands noms du légitimisme français ont rejoint ce nouveau prétendant tels que Maurice d’Andigné et le délégué en France de Charles XI, le prince Henri de Valori qui, précisément, « alluma » le schisme sévillan…
Cependant, avant et après son acceptation du Ralliement (1892), Charles XI eut des propos qui attestèrent son attachement, en son âme et conscience, au Principe royal de France et à son rôle d’Héritier du Trône de France. (Le lecteur peut se référer à l’ouvrage de Jean Silve de Ventavon, cf. première partie ARLV N° 36). Je ne citerai que quelques aperçus des propos et actions de l’Héritier du trône de France en sus des mots de septembre 1888 rapportés ci-dessus.
Il en fut ainsi, en 1881 (messe de la St Henri), devant les Saint-Cyriens qui l’acclamèrent à St Germain des Prés, ce qui lui valut d’être expulsé de France ! (cinq ans avant la Loi d’Exil des descendants des familles ayant régné en France).
En 1889, le fidèle Joseph de Bourg fut chargé de présenter à Paray le Monial un document solennel consacrant la personne du roi Charles XI, et la France, au Sacré-Coeur, conformément à la demande faite par Marguerite Marie Alacoque au roi Louis XIII.
Il avait aussi laissé des messages auprès des pèlerins légitimistes de Ste Anne d’Auray : « Vous leur direz qu’il n’y a que deux politiques en présence dans l’histoire contemporaine, le droit traditionnel et le droit populaire. Entre ces deux pôles, le monde politique s’agite. Au milieu, il n’y a que des royautés qui abdiquent, des usurpations et des dictatures, que des princes de ma famille aient reconnu l’usurpation triomphante, soit. Un jour viendra qu’eux-mêmes ou leurs descendants béniront ma mémoire. Je leur aurai gardé inviolable le droit des Bourbons dont je suis le chef, droit qui ne s’éteindra qu’avec le dernier rejeton de la race issue de Louis XIV ». Le 3 octobre 1890, il confiera à Valori ces propos : « La France, j’ai le devoir de l’aimer comme on l’aime depuis douze siècles dans ma famille ».
En mai 1892, l’Héritier du trône, par sa propre intervention en justice, contribua à faire débouter les d’Orléans enclins à vouloir s’arroger les pleines armes de France : « Moi-seul, aîné des Bourbons, Chef de nom et d’armes de la race d’Hugues Capet, de St Louis et de Louis XIV, et par moi mon fils et mon frère, nous avons le droit de porter son écusson royal d’Azur à trois fleurs de Lys d’Or sans brisure ».
En 1896, lorsque son Chef de Cabinet, Henri de Valori, non rallié et congédié depuis juillet 1892, se tourna vers le prétendant sévillan, il accrédita Urbain de Maillé, un des monarchistes légitimistes français les plus fidèles à la filiation dynastique héritée du Comte de Chambord. C’est d’ailleurs à Urbain de Maillé, alors secrétaire, que sera remis le petit coeur du Dauphin Louis XVII, retrouvé, et précédemment conservé par le docteur Pelletan.

Charles XI, duc de Madrid


Alors, comment expliquer ce paradoxe entre l’acceptation du ralliement, d’une part, et l’attachement à la tradition royale, d’autre part ? Charles XI, duc de Madrid

Charles XI a- t-il fait preuve de « cécité » ? (Cf. première partie). N’a-t-il pas plutôt perçu l’opportunité politique que le ralliement pouvait apporter puisque celui-ci allait procurer un apaisement, pour quelques années, entre catholiques et porteurs d’une laïcisation plus ou moins exacerbée au sein d’une république modérée, tout en demeurant, en ce qui le concerne, l’incarnation d’un Principe intemporel et le porteur de messages sur la pérennité de la tradition royale qui pourrait reprendre corps selon les aléas et incertitudes du Royaume de France ?
Le Pape Léon XIII, lui-même, n’a-t-il pas eu ces mots prophétiques, qui ménagent l’avenir, en recommandant de vivre en union « avec la république qui est le gouvernement ACTUEL de la nation » ? En 1906, enfin, trois ans avant son propre décès, Charles XI semble avoir voulu répondre à cette question et aux attentes des derniers « fidèles » ou préparer l’avenir… En effet, s’insurgeant contre le vote de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, il adressa, le 12 mars, depuis Venise un message aux Français qui fut alors placardé dans Paris : « Comme l’Aîné de la race de nos Rois, et successeur salique, par droit de primogéniture, de mon oncle Henri V, je ne puis rester plus longtemps spectateur impassible des attentats qui se commettent contre la religion et aussi Sa Sainteté Pie X. J’élève la voix pour repousser de toutes les forces de mon âme de chrétien et de Bourbon la Loi de Séparation. Catholiques français, l’avenir de la France est entre vos mains, sachez donc vous affranchir d’un joug maçonnique et satanique en revenant franchement et avec l’ardeur qui vous caractérise à la vraie tradition chrétienne et nationale dont, par ma naissance, c’est-à-dire, par la volonté de Dieu, je suis le seul représentant légitime ».
Enfin, il faut citer un passage de son testament laissé après son décès en juillet 1909, « d’un admirable ton bourbonien » : « … Bien que l’Espagne ait été le culte de ma vie, je ne peux oublier que ma naissance m’impose des devoirs vis-à-vis de la France, berceau de ma famille. C’est pour eux que je maintiens intacts les droits qui comme Chef et Aîné de ma Maison m’incombent… ».
Alors, l’aîné des Bourbons d’Espagne, Don Carlos, Charles XI, s’est-il désintéressé et a-t-il renoncé à la Couronne de France ? Nous constatons qu’il n’en est rien.
A présent, il est indispensable de revenir sur le contexte politique (et économique) de cette époque contemporaine de Charles XI mais, aussi, du prétendant sévillan, ceci, afin de comprendre comment ce dernier a pu « émerger » dans cette période de crise et de mutations ainsi que les termes de la proclamation du 4 janvier 1899 à l’égard du régime en place.
Le CONTEXTE NATIONAL de la PROCLAMATION du 4 janvier 1899 : une PERIODE de CRISE (1885 / 1899) et ses suites
A - Intéressons-nous d’abord au contexte politique, c’est-à-dire à l’évolution de la politique française à partir de 1883 et aux « Affaires » qui entachèrent et fragilisèrent le pouvoir républicain…

Rappel des dates qui semblent alors sceller le sort de la Royauté en France : 24 août 1883, décès d’Henri V ; 14 août 1884, le Parlement, en congrès, a déclaré inéligibles les membres des familles ayant régné en France. Loi publiée le 23 juin 1886 (elle sera abrogée en 1950).
Examinons, pour l’ensemble de la période, ce que nous en dit « La France de 1848 à 1914 »2 , très didactique sur ce sujet et qui montre combien le contexte politique, en 1899, était propice aux proclamations, appels aux armes, sinon même aux coups d’Etat…
1) Les élections nationales successives, désormais « faiseuses de rois républicains » font évoluer rapidement la classe politique dirigeante et sa pensée…
En 1871, la haute noblesse et la haute bourgeoisie représentent 70% des députés dans un contexte de monarchie encore très possible… En 1893, ces deux classes représentent encore 53% de l’Assemblée (avec 311 modérés / 140 radicaux / 50 socialistes / 60 monarchistes / une trentaine de « ralliés »… les divisions semblent s’installer durablement !). En 1902, soit trois ans après la proclamation de 1899, haute noblesse et haute bourgeoisie ne représentent plus que 36% des députés ! La droite « ralliée » dispose alors d’une cinquantaine de sièges. Elle ne se dira plus « monarchiste » mais en conservera les traditions…, tandis que les « opportunistes » (1880) devenus « les progressistes » en 1890 (pour signifier qu’ils étaient plus proches de la gauche… ) sont alors bien plus nombreux (111 sièges ), et, tandis que la gauche conforte sa place (socialistes et radicaux), une droite nationaliste se fait jour et se révèle très attractive auprès de l’opinion. En 1892, Maurice Barrès définit le nationalisme « comme un système de pensée fondé sur l’affirmation de la primauté, dans l’ordre politique, de la défense des valeurs nationales et des intérêts nationaux ». L’évolution du nationalisme passe par l’appel au soldat et par l’adhésion à une ou des personnes « providentielles », sans nécessaire légitimité dynastique (l’exemple du général Boulanger) mais ce n’est pas non plus impossible et, à ce titre, incontestablement, on verra que François de Bourbon Séville a plus le « profil » que ses royaux cousins….
2) C’est que, parallèlement et « en caisse de résonance » avec les élections, de très graves « Affaires » secouent la République et ses édiles tandis qu’une montée de violence, après quelques années de république modérée, se manifeste à travers l’action syndicale, celle aussi des ligues nationalistes émergentes, voire enfin par des attentats anarchistes…
Pour les « Affaires », citons (sans développer) : l’affaire des décorations (1887), le scandale de Panama (jugé en 1893), la crise de Fachoda (1898), l’affaire Dreyfus (1898 / 1899)…
En plus de la montée de la violence, ce sont aussi, désormais, des campagnes de dénigrement systématique qui sont entreprises contre la démocratie parlementaire, avec leur cortège de démagogie, violence verbale, agitation de « trublions » (selon A. France), apologie de l’ordre et de la force, culte du chef, exaltation de la gloire… La démocratie parlementaire parait bien trop matérialiste tandis que les mécontentements s’accroissent face à l’anticléricalisme qui persiste et se réactive malgré les effets du « ralliement », et face à l’absence de véritables réformes sociales espérées et encouragées par le Pape. Enfin, la politique coloniale, qui sollicite l’or et le sang tandis qu’on oublie l’Alsace et la Lorraine, est décriée.
En 1899, Paul Déroulède essaya d’entraîner le général Roget et ses soldats à l’Elysée…
Mouvements liés à l’évolution du temps qui s’accélère en cette fin du XIXème siècle ? A la perte des racines ? Au refus de l’alternative de gauche (partis radical et socialiste) ?
En tout état de cause, on ne peut nier que le « ton » de la proclamation du 4 janvier 1899 ne détone pas dans un tel contexte On doit aussi observer, à ce stade, que celle-ci ne s’inscrit aucunement dans une campagne électorale nationale puisque les dernières élections ont eu lieu en 1898 tandis que les suivantes auront lieu en 1902.
Le président Félix Faure n’est pas encore décédé, il exerce alors un mandat plutôt modéré face à toute cette agitation. Une prise de pouvoir par la voie légale doit sembler définitivement impossible au prétendant sévillan…

3) Beaucoup de monarchistes ont alors pensé que le moment était venu « d’étrangler la gueuse ». Des contacts ont alors été noués avec les Princes en exil. C’est qu’effectivement, le ralliement de Charles XI à l’encyclique pontificale avait bien fracturé la cohésion des fidèles et l’on a dit précédemment que ceux-ci s’étaient partagés entre ce prince carliste, le prétendant sévillan et les d’Orléans… On peut imaginer que tous aient été « approchés » et que la proclamation du 4 janvier 1899, ainsi que sa diffusion, s’inscrivent dans ce contexte précis. Nul doute que les termes de « sinistre comédie » et de « régime des comparses » ont dû séduire plus d’un opposant au régime en place !
Notons d’ailleurs que, malgré la mort du prince de Valori en 1898 qui avait beaucoup fait pour promouvoir la « candidature » de François de Bourbon-Séville, les « sévillans » vers 1900 sont plus nombreux que les « carlistes ».
Il faudra attendre 1914 pour que l’union républicaine de crise qui va se créer à partir de 1899 en présence de toute cette agitation politique laisse place à l’union sacrée de tous, royalistes et républicains. Et, on verra alors que l’action menée au nom de François de Bourbon-Séville s’étiolera peu à peu…
B - le contexte économique et social de la proclamation du 4 janvier 1899

La proclamation du 4 janvier n’y fait pas allusion directement mais, néanmoins, ces aspects du contexte de l’époque doivent être abordés car ils « nourrissent » le combat des partis et des ligues, et, le gouvernement va devoir s’en saisir plus activement qu’avant les années 1890.
En effet, le contexte économique et social occupe aussi le quotidien de la population, dans ses conditions d’existence ou dans ses aspirations à plus d’égalité, de probité et d’aisance. Qui ne traite de ces questions économiques et sociales a peu de chance d’avoir le soutien du Peuple.
De façon générale, la croissance économique de la France est plus faible que celle des autres pays européens et des Etats-Unis. Néanmoins, les évolutions économiques du pays et ses nouvelles réalités sociales provoquent, tour à tour, selon la classe d’appartenance et les temps, ressentiment, malaise, satisfaction…
1) Situation des ouvriers
Rappelons qu’en 1884, plus de 1000 ouvriers avaient signé une adresse au roi Charles XI… Autour du Comité central de propagande légitimiste cité ci-dessus, se sont créés alors des satellites tournés vers les classes populaires et la jeunesse. Henri V, lui-même, dans ses Ecrits, n’avait-il pas abordé la question sociale ?3 Tout ceci sera relayé dans le cadre de l’engagement social adopté par son successeur, Charles XI, en se ralliant à l’encyclique pontificale évoquée ci-dessus qui s’accompagnait de recommandations sur ce plan (« Rerum Novarum », voir ci-dessous).
Au niveau du gouvernement républicain, la préoccupation sociale est encore bien modeste puisque jusqu’en 1890, ce fut une politique libérale qui prévalut sous la férule des radicaux et des opportunistes (dont orléanistes).
La mesure des incidences négatives du développement de l’industrialisation et du machinisme (notamment dans la métallurgie et le textile) n’était pas encore prise en compte. Bien au contraire, la période fut marquée par des représailles sévères, voire sanglantes, en présence de manifestations d’ouvriers (ex Fourmies, mai 1893).
Cependant, les ouvriers vont devenir une réalité sociale en sus d’une source de contestation. Peu à peu, ils gagneront en représentation au Parlement (socialistes) et en « considération » au sein de la république par une pression syndicale grandissante, plus distante envers tout mouvement politique que leurs homologues d’Allemagne et de Grande Bretagne. Cette montée en puissance demandera plusieurs décennies. Néanmoins, entre 1890 et 1900, trois séries de mesures furent votées concernant la durée de travail pour les femmes et les enfants, les conditions de travail et les assurances sociales.
Il n’est pas certain, à cet égard, que le « prétendant sévillan » ait pris la mesure de cette évolution sociétale. La mention aux « droits » et aux « libertés » mentionnée dans la proclamation du 4 janvier concerne moins les ouvriers que d’autres catégories de la population plus proches du modèle de société traditionnelle dont il est issu et où il aura vécu, même s’il se proclame « libéral » et attaché « aux conquêtes de la véritable démocratie »…
2) paysannerie (encore prédominante) et industriels (en accroissement)
Ces catégories sociales se trouvent alors mieux protégées, notamment avec les « tarifs Méline » de 1892 destinés à combattre la stagnation de la production constatée entre 1873 et 1896, générée par l’ouverture croissante aux importations extérieures (d’où une première « guerre douanière » avec la Suisse et l’Italie !). Coïncidant avec une insuffisance de la production mondiale d’or, la chute des prix fut à peu près régulière jusqu’en 1896 et fut plus forte dans le secteur agricole que dans le secteur industriel.
Malgré cette mesure, l’inquiétude demeure, mais est-ce suffisant pour soulever ces catégories sociales contre le gouvernement républicain, notamment la paysannerie comme un siècle plus tôt ? Il semble bien que non !
Quant aux industriels, ils devaient être plus sensibles au discours libéral voire orléaniste encore bien présent au parlement et au gouvernement, plutôt qu’à l’appel aux armes de la proclamation du 4 janvier 1899 même si son auteur se revendique lui-même libéral et « pénétré d’idées modernes » !
3) les rentiers :
Ils constituent un groupe à part entière en cette fin de siècle industriel et commerçant… Cependant, ils ont subi bien des déboires… Le scandale de Panama (1893) a lésé une multitude de souscripteurs qui se détourne durablement du soutien à l’industrialisation… pour se tourner vers l’emprunt russe dans une période propice aux rapprochements des deux pays, placement qui ne s’avèrera pas plus « heureux » dans un futur pas si lointain…
D’autres spéculations boursières ont également entaché la période qui nous intéresse, telle celle du Comptoir d’Escompte autour de 1889/1890…

N’oublions pas non plus que cette période a vu apparaître une première perspective d’impôt sur le revenu, qui fut cependant enterrée (momentanément) bien vite tant elle fut « déstabilisante » pour un électorat sur le soutien duquel le régime en place avait besoin de compter…
Nous sommes là en présence d’une catégorie de population particulièrement fragilisée et dont la proportion, alors encore notable, ira en s’amenuisant. Cependant, dans cette période troublée, celle-ci pouvait être plus attentive aux velléités du prétendant sévillan …
En présence de ces mouvances économiques, techniques et financières qui ont impacté la deuxième moitié du XIXe siècle, observons que celui qui a été le plus animé par les préoccupations sociales des personnes fragilisées, parmi les descendants des familles régnantes est bien le successeur de Henri V, Charles XI, car, en se ralliant à l’encyclique pontificale « autour des sollicitudes » il a également entraîné les catholiques et les monarchistes au service de l’encyclique pontificale « Rerum Novarum » (« de choses nouvelles » ou « innovations » d’après les premiers mots de ce document ), en date du 15 mai 1891 qui complétait la première, sur la question sociale.
Cette encyclique condamne la misère et la pauvreté tout autant que le socialisme athée et dénonce les excès du capitalisme. Elle encourage de ce fait un syndicalisme chrétien (corporations par métier) et le catholicisme social. Ce fut le coup d’envoi de la doctrine sociale de l’Eglise et Charles XI l’a soutenue par son ralliement…
Le prince sévillan, pourtant d’éducation catholique, aura manqué ce « rendez-vous » avec l’histoire d’un peuple dont il se prétendait proche et qu’il entendait gouverner

« Le décor est planté ».
Il est temps de mieux connaître François-Henri de Bourbon-Séville, sa vie, et ce que fut la portée de son combat et de la proclamation du 4 janvier 1899 en particulier.

François-Henri de Paule de Bourbon-Séville


A - Sa biographie

Les ouvrages cités précédemment, en particulier celui de Ventavon, ont retracé l’existence de ce prince et ses principaux faits et agissements… Les sites numériques sont eux même principalement « nourris » par ces références (exemple : vexilla-galliae.fr). J’y « puise » donc les éléments de vie de notre « héros » de la proclamation du 4 janvier 1899, en ayant cependant recherché un contact avec les autorités d’Espagne susceptibles d’enrichir cette biographie et de nous dire le souvenir laissé par ce prince… Je proposerai à la rédaction de la revue de publier ultérieurement cette éventuelle contribution s’il m’est possible de surmonter l’obstacle de la langue et les procédures administratives d’accès aux archives espagnoles à distance, ce qui n’est pas simple malgré l’intérêt manifesté à mes recherches par monsieur le Consul d’Espagne en poste à Bordeaux… Dès à présent, celui-ci a bien voulu me faire part d’une référence bibliographique espagnole (voir 5 en fin d’article) et d’indications précises sur les services à contacter.En premier lieu, voici le portrait de ce personnage dont je vous parle depuis septembre dernier (!), assez proche de la période qui nous occupe.__ Etat civilSon nom francisé est donc François (Henri) de Paule de Bourbon (Séville). Son nom espagnol est Francisco de Paula de Borbòn (y Castellvi). Son nom de baptême semble inclure d’autres prénoms puisqu’un ouvrage d’un auteur dénommé C.J. Grand « L’Avenir de l’Europe – les Bourbons actuels – Etat de la Maison des Bourbons » (ed. 1874, réed. 2013 Hachette BnF), mentionne l’identité suivante : François, Marie, Trinité, Henri, Gabriel, Raphaël, Edme, Bonaventure ! Enfin, la référence bibliographique espagnole sus-mentionnée indique : Don Francisco Maria de Borbòn y Castelvi…Ce prince naquit à Toulouse, 1 rue Caffarelli, le 29 mars 1853. Il est donc français par le droit du sol. Il a fait ses études à Toulouse et à Pau. C’est un cadet de la famille royale d’Espagne, un cousin germain d’Alphonse XII qui était le fils d’Isabelle II (cf. fig. 2 – tableau généalogique).
En effet, son père, l’infant Henri de Bourbon (1823 / 1870) duc de Séville (titre dont il héritera ensuite) était le deuxième fils du Prince François de Paule, lui-même frère puiné de Ferdinand VII. Il était donc, également, cousin germain… et beau-frère d’Isabelle II ! Cependant, ce père princier fit preuve d’une grande singularité, peu appréciée dans le milieu royal, puisqu’il encouragea les Espagnols à se soulever alors que Paris était en train de détrôner Louis-Philippe ! Ce Prince se voulait résolument révolutionnaire et son existence s’entremêla de multiples pardons et autres intrigues éphémères au côté du prince Antoine d’Orléans-Montpensier, notamment, celui-ci semblant avoir lui-même comploté pour obtenir le trône d’Espagne en tant qu’époux de la soeur d’Isabelle II !
Issu du mariage morganatique entre ce père atypique et Elena Maria de Castellvy y Shelly, qui avaient dû fuir l’Espagne compte tenu des agissements politiques de son géniteur, François-Henri l fut exclu de facto de la succession au trône d’Espagne car issu d’une « union inégale » à ce que les conventions prescrivaient (ce mariage, catholique, fut néanmoins béni par le pape Pie IX)…
Lui-même épousa en premières noces, le 15 septembre 1877, à La Havane, une roturière cubaine doña Maria Luisa de la Torre y Bassave (1856-1887) et ils eurent cinq enfants. Devenu veuf, le prince épousa en secondes noces, le 15 février 1890, à Madrid, l’aristocrate cubaine doña Felisa de Leòn y Navarro, marquise de Balboa (1861-1943) qui lui donna trois enfants. Le père de sa seconde épouse fut notamment « Gentihomme » de S. M. la Reine Isabelle II.
Il fut aussi connu sous le titre de général-duc François-Henri de Bourbon-Séville Nous en reparlerons en évoquant ses « faits d’arme » hors France…
Les dernières années de sa vie n’ont pas été plus paisibles que celles contemporaines des faits d’arme sur lesquelles nous reviendrons, car il connut les changements de régime intervenus en Espagne durant la première moitié du XXème siècle et, notamment, la chute de la république espagnole avec laquelle il s’était accommodé, en 1931. Il fut cependant autorisé à rester en Espagne. Lors de la guerre qui opposa nationalistes et républicains, plusieurs de ses enfants et petits-enfants ont été fusillés par ces derniers. Il dut se réfugier à l’ambassade du Chili avec sa seconde épouse afin d’échapper lui-même à ce massacre. La chute de Madrid en 1939 le sauva finalement d’une mort certaine. C’est cependant en cette ville qu’il termina son existence (et quelle existence !) à près de 90 ans, le 28 mars 1942.
__« ses faits d’arme » hors France
Avant les années 1890, il avait combattu aux côtés de Don Carlos lors du troisième conflit armé carliste espagnol mais il s’était rapidement rallié à Alphonse XII du fait de l’issue malheureuse de ces combats pour les Carlistes.
Cependant, avant cette défection, notons que ses talents de soldat avaient sauvé les « Bérets rouges » à la bataille d’Alcora en 1873.
Mais l’opportunisme politique du personnage ne fut guère apprécié par Charles XI de Bourbon-Anjou !

« Rentré dans le rang », Alphonse XII lui confiera, en retour, le poste de général de brigade en 1875 à Cuba avant qu’il ne soit nommé à l’infanterie à Saragosse, puis en tant que commandant de brigade dans la cavalerie à Madrid et, enfin, d’être nommé général de division en 1891.
En 1896 /1898, il siégeait aux Cortes en tant que député indépendant pour le district des environs de Barcelone.
Néanmoins, il aura connu une incarcération sur l’ordre de Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine, régente d’Espagne, jusqu’à la montée sur le trône d’Alphonse XIII, car elle voyait en lui un danger pour son pouvoir…
Il sera ensuite, et enfin, Capitaine général des Baléares alors que la première guerre mondiale éclatait (1914 – 1916).
Puis, Alphonse XIII le fera entrer au Conseil de Guerre et de la Marine en 1917.
Il obtiendra plus tard la décoration de la Toison d’Or, en tant que Chevalier, ce qui s’ajouta à un certain nombre d’autres insignes honorifiques reçus depuis qu’il s’était rallié à la dynastie espagnole régnante (note 6 en fin d’article).
Nous allons voir que ce parcours de vie épique mais, aussi, si « rocambolesque » se poursuivra dans sa prétention au Trône de France …
__« ses faits d’arme » pour la France
En effet, mêlant à nouveau opportunisme et tempérament « frondeur », le parcours politique du prince sévillan ne s’arrêta donc pas à la frontière franco-ibérique (ou simplement ibérique puisqu’il semble être aussi intervenu au Portugal –voir décoration (note 6)).
Il fut approché par Henri de Valori dès que celui-ci cessa d’être le délégué pour la France de Charles XI suite à l’acceptation de l’encyclique pontificale relative au ralliement (voir deuxième partie) en 1891 par l’héritier du Trône de France3. Or, François-Henri était français et, exclu du Trône d’Espagne à ce titre, il respectait les conditions du Traité d’Utrecht puisqu’il ne pouvait donc aspirer qu’à une seule des deux Couronnes. Par ailleurs, lui n’était pas « rallié », ce qui avait fini de « séduire » le prince Henri de Valori. Celui-ci devint alors le mentor du prince sévillan jusqu’à son propre décès le 17 février 1898.
Aussi, après avoir servi Charles XI (Charles VII pour les carlistes espagnols) puis Alphonse XII et Alphonse XIII, il se pare du titre de Duc d’Anjou (!) et se présente sous le nom de François III (!) pour briguer le Trône de France ! Il a alors 46 ans. En juin 1896, il attaque au Tribunal le duc d’Orléans pour usurpation des Pleines Armes de France, recours déjà introduit par Charles XI comme évoqué précédemment, le 23 mai 1892. Il sera débouté, ainsi que les d’Orléans et Charles XI, au motif que tout ceci n’était plus que titre de courtoisie… Auparavant, en septembre 1894, il avait écrit « …qu’il plie le drapeau d’Henri IV avec honneur, respectant les lois françaises et espagnoles, et saluant la France heureuse et tranquille avec sa République… ». Ce manifeste pouvait paraitre alors bien surprenant pour un futur prétendant à la Couronne de France qui, après avoir tenté de contacter Charles XI et son fils, durant une dizaine de jours, les enjoignant à se déclarer eux-mêmes prétendants au Trône de France, se lançait dans cette nouvelle « aventure »… D’où la proclamation du 4 janvier 1899.
Mais il apparait qu’avec la disparition subite d’Henri de Valori qui s’était épuisé à la tâche, le « sévillanisme » survécut faiblement à son véritable fondateur. Le Prince poursuivit sa carrière dans l’armée espagnole à Madrid et, donc, fut peu présent en France.
Le « schisme sévillan » (« agaçante épine au talon du Légitimisme » selon Jean Silve de Ventavon) perdurera certes jusqu’en 1955, mais réduit à un groupuscule radical.
Voyons ce qu’il en fut réellement…
B - La portée du « sévillanisme » et de la proclamation du 4 janvier 1899 et de la proclamation du 4 janvier 1899 auprès des partis politiques et de la population française
__Alors que Charles XI, qui n’avait pas répondu aux sollicitations de son « cousin » en 1894, ait finalement déclaré le 17 juillet 1895, « que la candidature de Don François de Bourbon ne méritait pas d’être discutée », le « schisme sévillan » avait cependant « capté » un certain nombre de monarchistes français comme cela a été précédemment mentionné, à savoir : les déçus, les tempéraments aventuriers mais, aussi, les « non–ralliés » non-orléanistes…
Néanmoins, pour évoquer ce qu’il en fut de son vivant, hormis ses études faites en France, il ne semble pas que ce prince ait eu véritablement une vie publique en France (et encore moins au niveau privé). J’ai cependant trouvé trace, dans le Journal « L’Excelsior » (qui semble être le « Jours de France » de l’époque, pour son crédit photographique !) en date du lundi 11 mars 1935, d’un diner du cercle de France (où figuraient encore de grands noms monarchistes français) où était présent « sa S.A.R. le Prince de Bourbon-Séville ».
Instant mondain, il en fut certainement d’autres… Mais pas de trace de réunion, de communication signée de sa main, d’action publique si ce n’est celle menée contre les Orléans en 1896, avec l’issue que l’on connait l’année suivante. Le manifeste mentionné ci-dessus évoquant le drapeau de Henri IV ne semble pas avoir eu la portée de ceux élaborés par Henri V, tant de par le contenu que par la dimension de la diffusion.
Qu’en fut-il de la proclamation du 4 janvier 1899 ? A sa parution, je me suis rendue compte que l’Affaire Dreyfus « captait alors toutes les plumes journalistiques »… Je n’en ai pas trouvé trace mais mes recherches se sont limitées aux principaux journaux.
__Observons que la presse a considérablement évolué depuis 1883… Au décès d’Henri V, « l’Union » s’était « sabordée », « la Gazette » a confirmé son orléanisme latent, « l’Univers » se réfugie dans le combat catholique… Les journaux soutenant les Bourbons d’Anjou et d’Espagne sont : « le Journal de Paris », le quotidien « L’Avranchin » dans la Manche, l’hebdomadaire morbihannais « Le Droit monarchique »…, mais avec des tirages qui n’ont rien à voir avec les 3000 exemplaires du journal « Le Siècle » devenu républicain après avoir été monarchiste et libéral !

Quant à une presse française favorable au prétendant sévillan, il semble qu’il n’y en ait eu peu si ce n’est ce numéro de la revue « Nouvelles » paru en mars 1895 où Valori « put » publier un article4 dans lequel il lui attribua pour la première fois le titre d’Anjou ainsi que deux hebdomadaires parus entre 1901 et 1909, « la Royauté nationale » (1903 /1904) et « l’Union nouvelle » (1904 / 1909 ) dont l’audience reste à évaluer.
__ enfin, qu’en fut-il au sein des partis politiques et de la population française ? Selon certaines sources, le mouvement se serait poursuivi véritablement jusqu’à l’entre-deux guerres mais d’autres évoquent plutôt un « tournant » dès 1910. Auparavant, en 1903, avait été créé un « Comité national du grand parti royal de France ». Celui-ci a fait un peu parlé de lui. La presse rend compte de sa création puis de sa (rapide) dissolution sur fonds de protestations de présumés soutiens, en particulier « le Siècle » en novembre 1903 (fig.5). Tout ceci dans un moment où la presse était à nouveau « captée » par une autre actualité française « brûlante », l’abrogation de la loi Falloux… Ensuite, un ultime Comité dit « Comité Charles X », fondé par André Yvert (1895 / 1975) au lendemain de la deuxième guerre mondiale fut placé sous le haut patronage des Séville mais son existence fut très éphémère d’autant plus que les descendants de François-Henri de Paule ne se sentaient pas concernés par cette prétention. En 1931, Paul Watrin dans la « Science Historique » critiquait l’usurpation du faux Henri VI, roi de France (toujours la « fameuse épine dans le talon du Légitimisme »…).

Donc, il apparait bien que, malgré cette proclamation du 4 janvier 1899, pleine d’allant et de promesse de bonheur (!), ce « schisme sévillan », dans l’histoire de la France et de la Royauté française, demeure très « confidentiel… Aucun des descendants de François de Paule de Bourbon Séville ne s’est véritablement hasardé à poursuivre cette vaine prétention. Mais cette dernière a eu le mérite de faire parler de la lignée des Bourbons d’Anjou et de l’institution monarchique à une époque où l’on pouvait encore espérer sauver la destinée de la France…

rue de Madrid

La Légitimité allait enfin retrouver son unité (« plus d’épine dans le talon… »)…, jusqu’à d’autres « schismes « ou prétentions non fondées ?
Notons, enfin, que le Royaume d’Espagne, quant à lui, n’a pas oublié ce prince franco-ibérique, comme en témoigne, notamment, le nom donné à une des rues de Madrid, « calle del Duque de Sevilla », puisque comme je le précisais en début de cette dernière partie, François de Paule de Bourbon-Séville est connu sous ce titre hérité de son père et, quoique d’autres le porteront ensuite, il semble qu’il lui soit associé spécifiquement dans la mémoire collective espagnole…


Reconnaissons qu’il a donné, dans ce pays, davantage de lui- même, en tant qu’homme, en tant que militaire et en tant que Prince (Grand d’Espagne) qu’à la France, tourmentée en cette fin du XIXème siècle et du début XXème…

Corinne WILLIAMS-SOSSLER

1 (1) Jean Silve de Ventavon « La Légitimité des Lys et le Duc d’Anjou », éd.Lanore /Sorlot, 1989

2 (2) Stéphane Rials – « Le Légitimisme », édition « Que sais-je ? », 1983

3 Voir Internet - impression du « règlement intérieur du Syndicat Général de la Boulangerie », ce qui atteste d’un grand éclectisme dans les affaires de cet imprimeur

1 ADDITIF –Note de bas de page (4) en deuxième partie, page 21 du no 37 de ARLV Décembre 2022 qui n’a pas été imprimée A propos du « … coup d’envoi de la sociale de l’Eglise », il faut citer les propos du Pape d’alors : « Le dernier siècle a détruit sans rien substituer, les corporations anciennes, qui étaient pour eux (les ouvriers) une protection ; tout principe et tout sentiment religieux ont disparu des lois et des institutions publiques et, ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense, se sont vus avec le temps, livrés à la merci de maitres inhumains et à la cupidité d’une concurrence effrénée ».

2 Notons, dès à présent que c’est sous ce seul titre que le désigne Monsieur José Maria Ferré, Consul général d’Espagne en poste à Bordeaux, contacté pour parvenir à vous faire part de la mémoire gardée de Henri de Paule en ce pays …

3 Il a été rapporté que Valori avait été congédié après que celui-ci ait laissé faussement entendre que Charles XI attachait du crédit à Karl-Wilhem Naundorff en tant que fils de Louis XVII. Tonitruant par nature, Henri de Valori était issu d’une famille d’origine italo-provençale. Il s’était surtout fait connaitre par l’édition de livres à petit succès, orientés sur le catholicisme ou la légitimité

4 « Avis de la direction de la revue « Nouvelles » : les plaidoyers de monsieur le prince de Valori en faveur de la légitimité du futur roi de France intéressent nos lecteurs comme une page d’histoire … ancienne » (!)

(5) « Genealogia de la Casa de Borbon de Espana » _ Francisco Javier ZORRILLA, collection FP TIERRA.HISTORIA.POLITICA (avec l’aimable et précieux concours de Monsieur le Consul général d’Espagne en résidence à Bordeaux).
(6) Médaille commémorative de la Campagne de Cuba, « Gran Cruz de la Orden del Mérito Militar roja, Gran Cruz de la Orden del Mérito Militar blanca, Gran Cruz sencilla de la Real y Militar Orden de San Hermenegildo (Real Orden de 27 de Marzo de 1901), Placa de la misma Orden (R.O. de 12 de julio de 1911), y Gran Cruz de la misma Orden por Real Decreto de 28 de enero de 1912, Gran Cruz de San Benito (Portugal), Medalla de Alphonso XIII ».