Le comte Pierre-René-Marie de Vaugiraud fut Grand-croix de Saint-Louis, Ordre de Cincinnatus, vice-amiral et gouverneur de la Martinique mais au delà de sa carrière de marin, il fut un acteur majeur de la Contre-révolution.
La famille vendéenne de Vaugiraud a payé un lourd tribut pour défendre la cause royale lors de la Révolution. Doté d’un caractère intrépide, le plus célèbre d’entre eux, dont j’ai l’honneur de descendre, a eu un rôle important dans la contre-révolution après une brillante carrière d’officier de marine. Cet article se propose de raconter sa vie entièrement vouée au service du Roi et à la Marine royale.
Un livre a été écrit sur lui en 2016 Au service du Roy, Un amiral sablais dans les guerres de Vendée par Yvon Marquis, natif de La Caillère, mais ce roman historique, plaisant à lire – d’un style vivant et dynamique –, tient autant du roman que de l’histoire, aussi nous nous contenterons de le citer en tant que tel et de parler du personnage historique.
Sa famille
Il est le deuxième des quatre enfants (et non trois comme on peut le lire souvent) de François de Vaugiraud (1713-1790), seigneur de Rosnay et de Marie Lodre (1704-1781) veuve d’un premier mariage et fille d’un armateur des Sables d’Olonne. Il est le petit-fils d’un officier de marine sous Louis XIV, Pierre de Vaugiraud.
Son frère aîné Joseph, né le 12 novembre 1739, était officier au régiment des Gardes françaises, voué à la sûreté du Roi. Il fut fait prisonnier lors de la prise des Tuileries le 10 août 1792 et sauvagement assassiné à coups de piques dans la prison de l’abbaye de Saint-Germain-des prés, lors des premiers massacres du 2 septembre 1792.
Sa sœur cadette Marie-Renée (1745-1840) épousa Philippe de Biré (1730-1806), seigneur de la Mevelière qui, agriculteur à 63 ans après la confiscation de ses biens devenus nationaux fut envoyé en novembre 1793 à Paris par le comité révolutionnaire de Nantes. Il était accusé avec 136 prévenus « de s'être montrés par leur conduite, les agents du despotisme et de la tyrannie », et surtout d’avoir un fils émigré dans l’armée de Condé, qui participera avec son oncle – sujet de cet article – à l’expédition de Quiberon, nous y reviendrons. Il fut toutefois acquitté après avoir goûté les joies du grand principe de liberté révolutionnaire pendant onze mois dans une prison parisienne.
Son plus jeune frère Jean-Charles Casimir (1746-1767) périt dans le naufrage du David, bâtiment de la Marine royale, dans la nuit du 19 au 20 février 1767 aux abords de l’Île d’Yeu en revenant d’une expédition vers la Martinique pour y apporter vivres et munitions.
Pierre René Marie de Vaugiraud est né le 27 décembre 1741 aux Sables d’Olonne. Il y épousa Marguerite Lodre de Chataignier à Notre-Dame-de-Bon-Port le 28 novembre 1769 qui lui donna six enfants, dont seuls les deux aînés survécurent jusqu’à l’âge adulte :
- Marie Joseph René, né aux Sables d’Olonne le 5 avril 1771 : Officier cavalier au régiment de dragons de Monsieur, il émigra avec ses parents et fut volontaire dans la 1re compagnie des chasseurs à cheval de la Marine, commandée par son père, dans l’Armée des Princes (1792). Il fut agent de liaison entre Londres et la Vendée, aux Sables d’Olonne. Un procès-verbal du conseil général de la commune des Sables, du 17 janvier 1793 en témoigne : un capitaine de brick, Lorteau, que le jury d'accusation déclara « prévenu d'avoir favorisé les projets des émigrés contre la République en donnant de l'argent à Vaugiraud jeune, l'un d'entre eux, et d'avoir à cet effet détourné une somme appartenant à la République ». Il fut avec le marquis de Rivière messager du comte d’Artois auprès de Charette, lors de l’expédition de l’Île d’Yeu. Son destin se sépara de celui de son père à cette occasion, puisqu’il choisit de rester dans l’armée de Charette et fit partie de ses derniers officiers au lieu de raccompagner le comte d’Artois en Angleterre. Il est cité par René Bittard des Portes dans Charette et la guerre de Vendée (1902) (disponible aux éditions de Chiré).
« Le 2 janvier, Charette, avec une petite colonne de 500 hommes, s’était glissé entre Vieillevigne et Montaigu, pour gagner la grande route qui conduit à Clisson. Il emmenait Rochecotte, Bourmont et Vaugiraud, trois émigrés devenus chefs de Chouans, qui donnaient l’exemple de l’endurance et de la bravoure aux Maraîchins et aux déserteurs. »
Le 3 janvier 1796 :
« Après une course effrénée au milieu des fondrières et des fossés, la petite troupe arriva aux landes de Génusson ; elle y fut attaquée par de l’infanterie, Charette, Rochecotte, Bourmont et Vaugiraud entraînèrent les cavaliers vendéens qui se firent jour le sabre à la main. »
Il échappa aux Républicains, lors de l’arrestation de Charette à la Chabotterie et rejoignit la Chouannerie en Bretagne.
Il fut arrêté en mai 1796 dans le Morbihan, probablement torturé puis abattu, dans la pacification toute théorique de Hoche qui n’avait pas grand-chose à envier à la Terreur de 1794.
Lettre de Hédouville à Mermet : (16 mai 1796) dans Quatre généraux de la Révolution : Hoche, et Desaix, Kléber et Marceau, Volume 2 :
« […] C’est en s’attachant à faire tuer ou prendre tous les chefs de meute ainsi que vous le faites , que nous parviendrons à finir cette infernale guerre. Je ne sais ce que je donnerais pour que Puysaye soit bientôt entre vos mains ; quoiqu’il soit aussi lâche qu’immoral, il est très dangereux par ses moyens.
Vous tirerez sûrement grand parti de tous les renseignements que vous avez arrachés à Vaugiraud. »
Dans la Revue des questions historiques du marquis de Beaucourt qui cite les correspondances publiées dans la Revue de la Révolution dans le Morbihan :
On y lit en date du 1r Prairial de l’an IV (20 mai 1796) la lettre d’un brigadier de gendarmerie qui raconte sa chasse aux Chouans qu’il fit en compagnie du général Mermet : « Nous avons tué beaucoup de chefs de Chouans, notamment Landivy, du Resto, Sans-Peur, chef du canton de Baud, Courageux.... Denis, et nous en tuâmes seize avec lui, près du pont de Sivrac.... Nous tombâmes sur cinq émigrés, et j'eus le bonheur de tuer le chevalier de Montmorand et nous fîmes prisonnier le comte de Vaugiraud… Il voulut nous conduire à Pluvigner.... Il me fut confié et j'étais avec deux cents hommes pour y aller; mais, à peine sorti de Locminé, il voulut s'évader et j'eus le bonheur de lui brûler la cervelle d'un coup de pistolet. »
Notons que deux cents hommes pour encadrer un seul prisonnier, c’était quand même un peu juste pour prévenir son évasion.
Ce que Hoche dans un langage digne de la plus grande honnêteté républicaine résumera ainsi dans sa lettre à Mercier du 5 juin 1796 :
« […] Vaugiraud pour racheter ses jours m’a informé de tout, et s’il n’eût pas eu la lâcheté de vouloir fuir, il serait encore vivant […] »
Il est à noter que la Restauration ne fut pas rancunière puisqu’au lieu de bannir ses meilleurs officiers, le général Mermet chef d’état major de Hoche qui a son nom sur l’Arc de Triomphe et qui servit la Révolution, l’Empire et la Restauration recevra la Croix de Saint-Louis en juin 1814. Inversement, l’émigration ou l’exécution des meilleurs officiers de marine sous la Révolution est une des causes de la défaite de Trafalgar.
Marie-Joseph est parfois confondu - notamment par Alexis des Nouhes, Généraux et chefs de la Vendée militaire et de la Chouannerie - avec le cousin germain de son père : Aimé de Vaugiraud, né à Mortagne en 1753, fils d’un garde du corps du Roi. Début mars 1793, il s'abstint de répondre à la citation de comparaître devant le Directoire du département; on envoya des gendarmes pour l'amener de force; ils ne purent remplir leur mission; sa défense à Saint-André-Goule-d'Oie par des paysans qui les repoussèrent fut l'un des premiers épisodes de la grande insurrection du mois de mars. Il n’émigra pas et fut major général dans l’armée du Centre (Royrand et Sapinaud de la Verrie) et servit sous Sapinaud de la Rairie de décembre 1793 jusqu’en janvier 1796. Il participa aussi sous ses ordres à la troisième guerre de Vendée en 1799 et 1800. Il décéda le 7 septembre 1814, la veille du jour où il devait être présenté à Louis XVIII.
- Marguerite, née aux Sables d’Olonne le 15 décembre 1773 : Seule de ses enfants à avoir laissé une postérité, elle épousa le 22 avril 1799 à Londres Louis Gabriel de Feriet, âgé de presque 21 ans. Ils eurent la particularité d’avoir trois cérémonies de mariage. La première, dans la chapelle catholique Kingstreet, la seconde le même jour dans la paroisse anglicane St Marylebone où sera également baptisée la fille de l’amiral Nelson et enfin, civilement, le 18 décembre 1806 à Versailles. Si le mariage en France s’explique par le fait que le Concordat ne reconnaissait pas civilement les mariages religieux, la paroisse anglicane s‘explique par le Hardwicke's Marriage Act en vigueur depuis 1753 qui imposait de passer dans une paroisse anglicane pour que le mariage soit enregistré et légalement valide, c’était en quelque sorte leur mariage civil anglais. Louis Gabriel de Feriet était le fils d’un capitaine de cavalerie des grenadiers royaux à Versailles, chevalier de Saint-Louis, seigneur de Verny et descendant d’une lignée de présidents à mortier du parlement de Metz – anoblis en 1520 pour faits d’armes par le duc de Lorraine. Ils émigrèrent en Allemagne, puis en Hollande dès 1790 avant d’embarquer pour la Louisiane depuis Bordeaux en 1792. le père de Louis-Gabriel y décéda la même année. Orphelin de père, il s’engagea à treize ans avec son frère aîné comme cadet dans le régiment espagnol de Louisiane avant de rejoindre deux ans plus tard la Légion Britannique à Londres, lorsque sa mère décida de rentrer en Europe. Elle décéda également peu après son arrivée à Londres en 1794. Son frère aîné resta en Louisiane et après avoir été principalement employé dans la Marine hors de son régiment, notamment comme commandant de la goélette de guerre Louisiane, dix canons et 45 hommes, il fit ensuite carrière dans les plantations. Plus tard, le 23 septembre 1830, son royalisme ne s’était pas éteint, il écrivait dans son journal au sujet de la révolution de juillet : « Des nouvelles bien étranges nous parviennent depuis deux jours, sans détails cependant. Encore une révolution en France ! L’immonde et déloyal Lafayette reparaît encore avec la garde nationale de Paris. Cet homme a trop vécu. Cependant Napoléon même l’avait bien jugé et n’avait jamais voulu l’employer. Que veulent encore ces gens-là ? Ils ne se sont pas contentés du gouvernement le plus libre et le plus libéral de l’Europe. Non, ils veulent encore faire revivre 93 et les Bonnets Rouges. Ils veulent encore ramener les cosaques à Paris. Pauvre France, comme ils sont dupes des Jacobins qu’on aurait dû anéantir. Ici tout le monde est dans la joie. Salut de canons, drapeau tricolore, etc. »
Le dernier château de Verny au sud de Metz reconstruit par son grand-père Louis-Philippe de Feriet sous Louis XV résista à la Révolution, mais pas au bombardement américain de 1944 et il n’en reste aujourd’hui qu’un jardin public, le « Parc du Château », et une rue de Feriet.
Pour l’anecdote, sa sœur, Françoise de Feriet, qui s’installa entre la Rivière Noire et le lac Ontario aux États-Unis laissa sa maison aux habitants avant de rentrer en France en 1839, deux ans avant son décès et c’est pour cela qu’en son hommage on trouve un village nommé Deferiet dans l’État de New-York à l’est du lac Ontario.
Revenons au gendre Louis Gabriel qui se mit au service du ministère britannique et fut chargé de « missions secrètes » en Europe et en France contre l’usurpateur, ce qui lui valut quelques emprisonnements et accusations douteuses et des inimitiés dans les deux camps. Il servit longtemps et notamment pour les Bourbons d’Espagne. Il fut notamment envoyé en Espagne pour tenter de secourir Ferdinand VII pendant la révolution des Cortes en 1822. Il y sera arrêté et mis au cachot. Sa vie aventureuse laisse beaucoup de points inconnus.
Ils eurent quatre enfants, dont l’aîné Louis Ferdinand, né à Londres en 1800, s’installa dans la commune des Clouzeaux après avoir servi comme officier du Roi. Le dernier, Ernest Louis, officier de la neuvième promotion de Saint-Cyr décéda à l’âge de 24 ans sans postérité.
- Renée-Louise née et baptisée aux Sables d’Olonne le 22 juin 1783, probablement décédée pendant l’émigration.
- Philippe né, baptisé et décédé le 2 septembre 1786
- Marie-Florence, née et baptisée aux Sables d’Olonne le 23 décembre 1787 aux Sables d’Olonne et décédée le 18 janvier suivant.
- Jeanne née et baptisée aux Sables d’Olonne le 6 mars 1791, restée en nourrice pendant l’émigration et décédée le 16 octobre 1794.
Sa carrière maritime
Pierre de Vaugiraud entra dans les gardes-marines à l’âge de 14 ans, en 1755, et embarqua l’année suivante sur l’Éveillé.
Il fit campagne aux Antilles, à Saint-Domingue, à l'Île Royale, participa à la prise du vaisseau anglais Greenwich, passa ensuite sur l'Orient à bord duquel il combattit aux Cardinaux le 19 novembre 1759, pendant la guerre de Sept Ans. Cette bataille qui eut lieu dans la baie de Quiberon fut une cuisante défaite pour la marine française et mit fin au projet d’invasion de la Grande-Bretagne. Elle eut cependant pour avantage de rénover la Marine royale et de la rendre prête pour la guerre d’indépendance des États-Unis où il joua un rôle majeur.
Nommé enseigne de vaisseau en janvier 1762, il servit à Rochefort et fit deux campagnes aux Antilles. Voici les commentaires de sa biographie remise à Louis XVIII dans un rapport au Roi dont nous reparlerons.
« Il se fit remarquer par son activité et son courage : lorsque la paix eut été conclue [guerre de Sept Ans], il reçut l’ordre de s’embarquer sur le Tonnant pour aller relever la garnison de Mahon, et faire remise de cette forteresse ; des escadres d’évolution ayant ensuite été armées, il fut attaché à la première, commandée par le comte d’Orvilliers, qui sut bientôt l’apprécier et le chargea de commander un aviso, destiné à répéter les ordres et à porter les signaux. M. de Vaugiraud montra dans ce service une intelligence et une activité telles, que l’amiral lui donna des éloges publics et l’envoya à Versailles rendre compte des opérations. »
Les signaux qui sont cités ici sont ceux de l’officier de marine Jean-François du Cheyron du Pavillon – officier sur l’Éveillé et l’Orient, lorsque Vaugiraud y était jeune garde-marine – qui inventa les codes des signaux de tactique navale suite à la désastreuse bataille des Cardinaux. C’est ainsi qu’il laissa son nom aux pavillons de marine. Il sera blessé à la bataille des Saintes le 12 avril 1782 et décédera 2 jours plus tard.
Pierre de Vaugiraud fut promu lieutenant de vaisseau en octobre 1773, et il embarqua sur l'Écureuil et en 1776 sur le Magnifique dans l'escadre d'évolutions commandée par du Chaffault et fut décoré chevalier de Saint-Louis la même année.
Sur la Couronne à la bataille d'Ouessant (27 juillet 1778), il seconda brillamment son commandant et chef d’escadre blessé, l’amiral du Chaffault, autre brillant officier de marine vendéen. Cette bataille déterminante fut en quelque sorte la revanche des Cardinaux puisque l’hégémonie de la Marine britannique fut mise en échec et notamment grâce aux signaux de manœuvre évoqués ci-dessus. Si la défaite anglaise ne fut pas totalement reconnue – ils ont filé à l’anglaise pendant la nuit –, l’amiral Keppel qui commandait la flotte britannique passera en cours martiale. Pour le thème qui anime notre bulletin, on ne peut passer sous silence l’action du duc de Chartres (Louis-Philippe d’Orléans) dans cette bataille. La flotte française comprenait trois escadres en ligne de file, la blanche et bleue commandée par du Chaffault (70 ans) sur la Couronne, la blanche commandée par d’Orvilliers (68 ans) sur la Bretagne et la bleue commandée par le duc de Chartres (31 ans) sur le Saint-Esprit. Le cousin du Roi voulait succéder à son beau-père, le duc de Bourbon-Penthièvre dans la charge d’amiral du Roi et s’était porté volontaire dans l’escadre d’évolutions. Il fut nommé chef d’escadre après moins d’un an de marine. Sans rentrer dans le détail de la bataille, un ordre par les pavillons cités précédemment de venir tribord amure ne fut pas exécuté par l’escadre bleue qui se retrouva isolée et qui fut tenue responsable d’avoir privé la Marine royale d’une victoire totale. Les historiens sont partagés sur le rôle personnel du duc de Chartres sans que l’on sache si les témoignages d’alors qui le dédouanaient étaient sincères ou diplomatiques envers un prince du sang. Toujours est-il que sa vocation maritime fut brève et sans gloire suite à cet épisode et il quitta la Marine pour devenir colonel-général des Hussards. Il voulut retenter sur terre l’expérience d’un haut commandement, le Roi s’y opposa. Ce fait ne fut probablement pas étranger au vote fatidique de celui qui devint Philippe Égalité ?
Le 28 février 1779 à Brest, Vaugiraud, par son intrépidité et sa présence d'esprit, évita une catastrophe dans le port de Brest qui aurait pu être provoquée par un incendie sur le Roland. Vers minuit, La Prévalaye, commandant de la marine, fut prévenu que le feu était au vaisseau de 64 canons, le Roland, dans le port ; s'y étant rendu en toute hâte, il trouva ce vaisseau embrasé de l'avant à l'arrière ainsi que la frégate de 42, le Zéphir, à laquelle il était amarré. Après l’éloignement des bateaux les plus proches, Vaugiraud s'approcha du Roland et du Zéphir pour remorquer les carcasses et les échouer sur le platin de Recouvrance. Le comte d’Hector et l’intendant de la marine, témoins de cette intrépidité, s'empressèrent d'en rendre compte au Roi qui lui fit écrire la lettre la plus flatteuse.
Peu de temps après, à la demande de d’Orvilliers et du Chaffault, Vaugiraud fut nommé commandant du Fox, frégate anglaise nouvellement capturée ; mais les cours de France et d’Espagne ayant résolu de tenter l’invasion de l’Angleterre, d’Orvilliers demanda que Vaugiraud lui fût donné pour major en second.
Il fut donc nommé major général en second sur la Bretagne dans l'escadre de d'Orvilliers qui comprenait trente navires pour participer de mai à octobre 1779 à la formation de la flotte franco-espagnole pour envahir l’Angleterre. L’attente de la flotte espagnole pendant trois mois au large de la Corogne provoquera le scorbut à bord. Le retard des Espagnols, les hésitations du Roi qui ne partageait pas l’agressivité espagnole, les équipages décimés et les forts vents contraires auront raison de ce projet qui comprenait soixante-cinq vaisseaux. D’Orvilliers y perdra son fils unique également embarqué sur la Bretagne, atteint du scorbut . Après ce fiasco, il obtint la permission du Roi de quitter le service et après la mort de sa femme en 1783 se retirera au séminaire Saint-Magloire à Paris.
Vaugiraud sera, lui, promu capitaine de vaisseau en avril 1780 puis nommé en mars 1781 major général de l'escadre de Grasse sur le navire amiral la Ville-de-Paris à la tête d’une flotte de 20 vaisseaux, 3 frégates et 120 bâtiments transportant 3200 hommes de troupe pour aider les insurgents américains. Il s'acquitta de ces fonctions de la manière la plus brillante.
Il prit, sur le navire amiral la Ville-de-Paris, une part essentielle aux victoires de Fort-Royal en Martinique (29 avril 1781) et de l’Île de Tabago (30 mai).
Le 23 juillet 1781, il sauve héroïquement la flotte lors de l’incendie du vaisseau l’Intrépide dans la rade du Cap à Saint-Domingue. Voici ce qu’il en est dit dans sa biographie précédant le rapport au Roi précité.
« Il eut le bonheur et la gloire de sauver l’armée navale d’une destruction inévitable ; elle était à l’ancre devant le Cap à Saint-Domingue, lorsque le feu prit à bord du l’Intrépide au milieu de tous les autres vaisseaux. L’équipage effrayé quitta le bâtiment ; l’armée, la flotte, la ville entière, touchaient à leur perte ; aucune mesure ne paraissait possible. Le comte de Vaugiraud sollicite du comte de Grasse la permission de se dévouer ; il se fait conduire droit au bâtiment incendié où trente milliers de poudre allaient éclater ; il rencontre l’équipage fugitif, le fait rougir de sa lâcheté et le ramène au vaisseau. Déjà le feu ne pouvait plus être maîtrisé ; les matelots et les soldats se mutinent et s’éloignent de nouveau ; M. de Vaugiraud est menacé ; rien ne le décourage ; il menace, donne l’exemple et ramène encore une fois les mutins. Déjà les flammes gagnaient la soute aux poudres ; M. de Vaugiraud dirige la manœuvre, fait conduire le vaisseau à la côte, l’échoue, en fait partir l’équipage et en sort le dernier. Cinq minutes après, l’Intrépide sauta avec une explosion qui ébranla toute la ville. »
Sous les ordres de l’amiral de Grasse, il remporte la bataille décisive contre les Anglais dans la baie de Chesapeake le 5 septembre 1781. Cette victoire permettra le blocus de la ville de Yorktown qui tombera le 19 octobre et sera à l’origine du traité de Versailles du 3 septembre 1783 reconnaissant l’indépendance des États-Unis d’Amérique.
La Marine nationale célèbre cette victoire chaque 5 septembre :
« Bataille de référence, succès tactique ayant conduit à une victoire stratégique, Chesapeake rappelle le rôle décisif du combat naval dans un conflit d’ampleur. Elle incarne une marine victorieuse, grâce à la préparation de ses équipages, à leur combativité et aux qualités tactiques et de commandement de ses officiers » (communiqué du 6 septembre 2022).
Le 17 septembre 1781, il rencontre le général Washington lors d’un conseil de guerre sur le navire amiral Ville de Paris où il représente la flotte au côté de l’amiral de Grasse.
Les 25 et 26 février 1782, bataille navale de Saint-Christophe et prise de l’île aux Britanniques.
Bataille des Saintes le 12 avril 1782 où il fut fait prisonnier avec son chef et libéré en septembre. L'amiral de Grasse, qui couvre un convoi de 150 navires de transport, se fait attaquer par la flotte anglaise. Les lignes françaises sont coupées en deux endroits, les anglais isolent et s'acharnent sur le vaisseau amiral, la Ville-de-Paris, et le prennent après un combat très violent de presque six heures. L'amiral de Grasse, Vaugiraud blessé et 4000 Français sont fait prisonniers. Il y a 2000 morts ou blessés côté français ; 5 vaisseaux sont perdus mais les 28 vaisseaux restants et les 150 bâtiments du convoi sont sauvés. Le conseil de guerre qui suivit loua tellement sa conduite qu’il reçut une lettre du Roi le félicitant de son dévouement en lui accordant une pension de 1200 livres qu’il ne reçut jamais.
Il fut parmi les Français admis comme membres fondateurs de la branche française de la Société des Cincinnati et reçut l’autorisation du port du titre de membre de la Société des Cincinnati par Louis XVI, le 18 décembre 1783.
Commandant en second une escadre d'évolutions sur la Railleuse en 1785, major de la 4e escadre en mai 1786, il reçut d’avril 1788 à juillet 1789 le commandement de la Gracieuse et de la station de Terre-Neuve où il refusa de porter la cocarde tricolore.
De juillet 1789 à mai 1790 il commanda la station navale des Îles du Vent (Martinique et Guadeloupe) et assistera le gouverneur M. de Vioménil pour éteindre les mouvements insurrectionnels.
Il rentrera ensuite à Olonne-sur-Mer d’où commencera son aventure contre-révolutionnaire par l’affaire de La Proutière.
La contre-révolution
Des aristocrates avec un attroupement de paysans étaient réunis en nombre chez M. de Lézardière à La Proutière sur la commune du Poiroux. le dimanche 26 juin 1791.
Ceci est souvent présenté comme une conspiration contre-révolutionnaire des gentilshommes du Poitou et la plupart des auteurs qui s’appuyaient sur les dépositions des accusateurs du procès révolutionnaire qui s’ensuivit ont validé cette thèse. Or le R.P. Yves Chaille en 1965 a démontré en s’appuyant sur d’autres documents que la réalité était bien différente.
Tout a commencé le vendredi 24 juin, jour de la saint Jean-Baptiste, chez les Vaugiraud qui résidaient à la Charmelerie, leur maison de campagne sur la paroisse d’Olonne. Apprenant successivement par deux personnes, après la fuite à Varennes, qu’on allait venir dans les maisons des nobles pour les égorger et mettre le feu à leur maison, il partit avec sa famille escorté par son fils à cheval, à dix heures du soir chez le sieur Sevanteau au Plessis-Gâtineau et y passa le samedi. Apprenant que le château de la Mothe-Achard avait été pillé et ne se sentant pas en sécurité, ils partirent à La Proutière, chez M. de Lézardière et y dînèrent. Après la messe très matinale du dimanche à Bois-Grolland – probablement clandestine, car l’abbaye avait été fermée en 1790 - où ils s’étaient retrouvés, une quarantaine de nobles auxquels s’étaient joints des paysans venus les défendre se réunirent à La Proutière dans le but de se protéger des menaces. L’après-midi du dimanche les dénonciations d’un attroupement, à commencer par celle du maire du Poiroux, affluaient au district des Sables.
Le mardi matin apprenant qu’une attaque de La Proutière était en préparation par la troupe d’Avrillé qui avait été renforcée (plus de 500 hommes) et décidant qu’une résistance serait impossible, les réfugiés décidèrent d’évacuer leurs familles. La troupe d’Avrillé arriva dans l’après-midi et ne trouva plus au château que quelques servantes ce qui ne les empêcha pas de le piller et de l’incendier. Cet épisode montra toutefois que la population était fidèle à la royauté. Il s’avéra que la plupart des accusateurs étaient membres de la « Société des amis de la Constitution » des Sables, antenne du Club des Jacobins parisien qui était le véritable pilote. Vaugiraud voulut demander justice et reçut en réponse un décret de prise de corps qui le décida d’émigrer.
Ainsi les Anglais qu’il avait passé toute sa carrière de marin à combattre allaient devenir ses meilleurs alliés. Arrivé à Coblence il reçut l’ordre des princes d’organiser le corps de la marine en compagnie, sous le commandement du comte d’Hector, autre officier de marine vendéen, lieutenant général des armées navales et commandant la marine à Brest jusqu’à la Révolution. Vaugiraud commanda la 1ere compagnie des chasseurs à cheval de la marine dans laquelle étaient son fils et son neveu. Cette compagnie fut chargée d’accompagner les princes et fera campagne dans l’Est, en Allemagne et en Belgique.
Après la dissolution de l’armée des princes, le nerf de la guerre n’étant plus, il rejoignit l’Angleterre en juillet 1793 avec pour mission de faire le lien avec l’insurrection vendéenne. La Revue Historique de 1959 – tome 221 montre par les lettres publiées que les émigrés étaient très mal informés. Ils avaient rumeur d’un soulèvement dans l’Ouest d’environ 200.000 hommes sous les ordres d’un certain général Gaston que personne ne connaissait. Cette rumeur venait des révolutionnaires qui ignoraient tout du commandement de l’insurrection de l’Ouest. Certaines hypothèses parlent d’un perruquier de Saint-Christophe du Ligneron du nom de Jean-François Gaston qui fit parler de lui dans les émeutes de 1791 et qui fut fusillé à Saint-Gervais le 15 avril 1793 après la bataille de Challans, mais il s’agit plus probablement du nom qu’avait pris Bonchamps au début de l’insurrection selon les mémoires de son oncle Toussaint-Ambroise de La Cartrie. Il fallait aller rencontrer ce Monsieur Gaston.
« Le maréchal de Castries proposa d'envoyer sur place des agents sûrs qui s'informeraient beaucoup plus de l'orthodoxie de M. de Gaston, encore un coup, que de la réalité de son armée et il proposa pour cette mission le comte d'Hervilly, qui se trouvait alors à Nimègue avec lui, et le chevalier de Vaugiraud, capitaine de vaisseau, que recommandait le duc d'Harcourt, représentant du Régent à Londres.
Ces Messieurs débarquèrent en Angleterre le 12 juillet, et eurent un long entretien avec le duc d'Harcourt, au sortir duquel M. d'Hervilly demanda des précisions au Régent par une lettre du 15 du même mois, les instructions qu'il avait reçues de Hamm [ où résidait le futur Louis XVIII ] ne lui paraissant pas au point : elles disaient en effet :
« Monsieur le Régent désire connaître les principes, les succès et la position où se trouve Mr. de Gaston dans ce moment-ci. Il charge de cette commission Mr. le Cte d'Hervilly et Mr. le Chr. de Vaugiraud, et cette instruction leur sera commune. Mr. d'Hervilly ira se réunir à M. de Vaugiraud à Bruxelles, d'où ils partiront ensemble pour l'Angleterre. Pour donner plus de facilité à MM. d'Hervilly et de Vaugiraud pour remplir la mission dont ils sont chargés, Monsieur le Régent autorise M. de Vaugiraud à louer par mois un bâtiment en Angleterre et tel qu'il le jugera convenable pour remplir sa mission. Cette première opération devra cependant être concertée avec M. le Duc d'Harcourt qui est particulièrement chargé de pourvoir à cette dépense. On ne peut rien indiquer à MM. d'Hervilly et de Vaugiraud sur les moyens d'arriver à Mr. de Gaston, mais dans tous les cas il convient de les concerter avec M. le Duc d'Harcourt qui pourra s'être procuré des nouvelles de France. La lettre dont Mr. d'Hervilly est chargé pour Mr. de Gaston n'est destinée qu'à l'accréditer. Il convient que MM. d'Hervilly et de Vaugiraud soient prévenus que Monsieur le Régent ne connaît point M. de Gaston, qu'il n'en a reçu aucune nouvelle et que les préventions favorables qu'il peut avoir sur lui ne sont que l'effet des nouvelles publiques qui l'annoncent comme combattant pour Dieu et le Roy. Mais pour être entièrement instruit sur ses dispositions il est indispensablement nécessaire de savoir si c'est le roy de la constitution qu'il veut servir ou le roy de l'ancienne monarchie française. […]
(signé) Louis Stanislas Xavier. A Hamm le 23 juin 1793 »
Ce à quoi M. d’Hervilly répondit :
« Londres, 15 juillet 1793.
J'ai l'honneur d'observer :
[…]
2 Que plus on emploiera de personnes connues pour être attachées aux Princes ou jouir de leur confiance, plus on augmentera les difficultés de remplir une mission qui en présente déjà de très grandes.
[...]
Le zèle, les talents et les connaissances de M. le Chevalier de Vaugiraud doivent lui mériter sous tous les rapports la plus entière confiance, et il n'en faut pas une demie, surtout pour une mission de cette nature. Car si l'on se trouve arrêté à chaque pas ou pour chaque objet de dépense on perd un temps précieux et il y en a déjà beaucoup de perdu.
[…]
Je mande à M. de Vaugiraud d'attendre à Bruxelles ou à Ostende les ordres de
Monsieur le Régent, que je reste ici pour recevoir ceux qu'on adressera à Londres, »
Ce à quoi le Régent fit répondre :
« [...]
2°L’intention de Monsieur le régent est de n'employer à la commission dont il s'agit que MM. D'Hervilly et de Vaugiraud, à moins qu'il ne leur convînt de réunir à eux quelques personnes pour les seconder, et ils en seraient bien les maîtres.
3° Il faut chercher un moyen de se passer du Cabinet de St. James, et on ne peut que se rapporter à MM. d'Hervilly et de Vaugiraud collectivement ou séparément sur ces moyens.
4° On ne voit aucun inconvénient à que MM. d'Hervilly et de Vaugiraud ensemble ou séparément agissent en leur propre et privé nom pour se procurer les facilités de passer sur les côtes de France. S'ils ont besoin d'être secondés par M. le Duc d’Harcourt il ne s’y refusera sûrement pas.
Monsieur le régent mande à M. le duc d'Harcourt de laisser à la disposition de M. d'Hervilly et de Vaugiraud quarante mille livres mais il faut observer que cette somme gêne infiniment monsieur le régent, qu'elle est prise sur des secours destinés à des malheureux qui meurent de faim, et qu'il tient à ménager le plus qu'on pourra. On ne la regrettera certainement pas si elle peut faciliter le succès de la commission dont MM. D'Hervilly et de Vaugiraud sont chargés.
Les ordres à envoyer à M. de Vaugiraud dont il est parlé dans le 5e paragraphe deviennent inutiles. Du moment qu'on s'en rapporte à ces messieurs sur les moyens de passer à l'armée de Gaston et sur l'époque qu'ils jugeront la plus favorable. Monsieur le régent désire qu'il n'y ait pas de temps perdu et que le départ ne dépende que des occasions, ces messieurs dussent-ils arriver séparément.
[…]
Hamm, le 26 juillet 1793,
par ordre de Monsieur le Régent, le Marquis de Raucourt »
« Le 12 août, on apprenait à Hamm, que M. de Gaston n’était qu’un mythe – bien qu’il existât des portraits de lui ... La mission de MM. d’Hervilly et de Vaugiraud était terminée avant même d’avoir commencé. »
Alfred de Curzon »
Ainsi, la mission vers « Monsieur de Gaston » fut annulée et un débarquement sur les côtes de France allait se préparer depuis l’Angleterre.
Vaugiraud contribua ensuite à préparer la partie navale de ce débarquement qui se solda par la désastreuse aventure de Quiberon.
( Ce lieu m’est familier et j’ai souvent pensé à cet évènement pour y avoir fait de nombreux exercices de débarquement en tant que chef de flottille des chalands de débarquement du Centre Amphibie de Lorient pendant mon service. )
Il convient de préciser que les inquiétudes sur le pilotage des opérations par le cabinet de Saint-James et par un chef français non favorable à l’ancienne monarchie étaient fondées, puisque les opérations se firent sous commandement britannique et furent dirigées sur le territoire par le comte Joseph de Puisaye, favorable à une monarchie constitutionnelle et qui n’avait pas la confiance des émigrés, ni des Princes. Les Anglais ne voulant pas engager leurs hommes, c’est une opération avec l’armée des émigrés qui se monta. Le général d’Hervilly reçut du Ministre de la Guerre britannique autorité sur les troupes en mer.
Le commandement en chef est confié en 1793 à Lord Moira qui, avec Vaugiraud, fit une reconnaissance des côtes françaises depuis Saint-Malo jusqu’à l’embouchure de la Charente. Une carte fut établie ornée d’une fleur de lys rayonnante avec la légende « in hoc signo vinces », référence à la prise de Rome par Constantin 1r.
L’ordre de départ du convoi fut donné le 16 juin 1795.
Les citations qui suivent sont tirées de Mémoires sur l’expédition de Quiberon par Louis-Gabriel de Villeneuve-Laroche-Barnaud.
« Le convoi fut mis sous la protection d'une escadre, commandée par l'amiral Warren composée de deux vaisseaux de ligne, quatre frégates, quatre chaloupes canonnières, deux corvettes et deux cutters. L'amiral devait rester près du lieu de débarquement, et agir, suivant les circonstances, pour seconder de tous ses moyens, l'entreprise. Il avait auprès de lui, comme premier aide-de-camp, le comte de Vaugiraud, capitaine de vaisseau de l'ancienne marine française, officier aussi brave que zélé royaliste, et qui connaissait parfaitement les côtes de Bretagne. »
Le 21 juin, l’escadre renforcée par celle de l’amiral Bridport à proximité de l’île de Groix y affronta la flotte républicaine qui fut sévèrement battue libérant ainsi l’espace maritime.
Alors que toute la flotte était au mouillage dans la baie de Quiberon le 25 juin, une dispute entre de Puisaye et d’Hervilly le 26 décala au lendemain les premiers débarquements pour armer les Chouans.
« Toutes les péniches furent lancées à l’eau. Le commodore Warren, ayant dans son canot les comtes de Puisaye et d’Hervilly, dirigeait en personne les manœuvres, et le 27, au lever du soleil, toutes les embarcations partirent à la rame vers le rivage. Le feu des chaloupes canonnières repoussa bientôt une petite colonne de soldats républicains qui, descendant le bourg de Carnac, semblait vouloir s’opposer au débarquement.[…] D’autres combats eurent lieu successivement pour la même cause , dans lesquels les Républicains furent contraints à la retraite, après avoir perdu plusieurs soldats. La descente se fit alors sans trouver d’obstacle tandis que l’air retentissait des cris joyeux de Vive le Roi ! »
Le 30 juin, les Chouans repoussent une attaque des Républicains au nombre de 3000 hommes en partie commandés par Hoche.
Le 3 juillet Hoche dispose de 13000 hommes et un nouvel affrontement éclate contre 15000 chouans, tandis que le deuxième débarquement a lieu dans l’anse de Saint-Clément.
« Le commodore Warren s'y présenta avec la Pomone, tandis que deux canonnières, placées près du rivage, devaient protéger la descente. Le signal de l'attaque est donné, et le feu commence sur tous les points. En même temps le commodore, avec son premier aide de camp, le comte de Vaugiraud, et ayant pris avec lui le comte de Puisaye, saute dans un canot, et il est suivi de la flottille aux cris de vive le Roi ! Les ennemis, regardant toute défense comme inutile, sans tirer un seul coup, abandonnent les postes de la côte, et se réfugient au fort Penthièvre. »
Celui-ci appelé alors le fort « Sans-Culotte » et assiégé depuis 4 jours se rendit ce même jour. Les émigrés proposèrent aux 700 soldats qui s’y tenaient de s’enrôler dans les forces royalistes, 400 acceptèrent. Ce fut l’erreur fatale, car qui maîtrise ce fort maîtrise la presqu’île et ces soldats de la dernière heure changeront une nouvelle fois de camp dans la nuit du 20 au 21 juillet pour rendre définitivement ce fort aux Républicains.
Deux attaques eurent lieu les 6 et 7 juillet qui forcèrent les Royalistes à se replier sur la presqu’île pour s’abriter derrière le fort.
Le 8 juillet « […] le général républicain, avec la majorité de ses forces, s'avança lui-même vers la falaise, pour tenter une troisième attaque contre la presqu'île [...] la batterie flottante, dirigée par le comte de Vaugiraud, força Hoche à rentrer dans ses retranchements. »
Le 10 juillet, sur proposition de Cadoudal, 6000 hommes embarquèrent à Port Haliguen pour être débarqués à l’extérieur de la presqu’île et prendre les Républicains à revers. Une autre expédition de 5000 hommes commandée par Jean-Jean fut envoyée vers Quimper, ville toute royaliste pour aller chercher du renfort.
Le 15 juillet la flotte commandée par Lord Moira arrive dans la baie avec la deuxième division d’émigrés sous les ordres de Charles de Sombreuil. Puisaye ne leur laissera pas le temps de débarquer et de s’armer pour prendre part au combat qu’il veut lancer dès le 16 avec le chef chouan Tinténiac. L’interprétation d’un faux signal fera échouer son attaque prématurée qui se fera sans Tinténiac. Les émigrés seront obligés de se replier à nouveau sur la presqu’île lors de la contre-attaque républicaine, d’Hervilly sera mortellement blessé à cette bataille de Plouharnel. Warren couvrira la retraite.
« Le commodore anglais avait fait garnir, par ses soldats de marine, commandés par le capitaine Keats, les ouvrages avancés du fort Penthièvre, et, secondé par le comte de Vaugiraud, l'un des officiers les plus distingués de la marine française, avait fait embosser six canonnières à peu de distance de la plage. Les Républicains, arrêtés par ce feu meurtrier, furent obligés de cesser la poursuite. »Alfred Nettement, "Quiberon, souvenirs du Morbihan",
Dans la nuit du 20 au 21, par un « cheval de Troie » qui retourna les ex puis nouveaux soldats républicains qui défendaient le fort, Hoche repris le fort Penthièvre.
Le lendemain, il donna l’assaut sur la presqu’île qui était devenue une souricière. Ce fut un désastre. Puisaye abandonna son commandement à Sombreuil qui tenta une ultime résistance avant de capituler. Hoche lui promis de considérer les émigrés comme des prisonniers de guerre, il n’en fut rien. Puisaye fut débarqué à Houat, puis devant les reproches de Cadoudal et l’hostilité du comte d’Artois qui doutait de son royalisme, il regagnera l’Angleterre et y demeura. Dans cette ultime combat, Vaugiraud contribua à sauver ceux qui pouvaient échapper.
« J'ai dit que les petites embarcations de l'escadre anglaise avaient recueilli toute la journée , souvent jusque sous le feu des Républicains, beaucoup de blessés et de fugitifs. L'amiral Warren , le capitaine Keats , le comte de Vaugiraud conduisaient eux-mêmes leurs chaloupes. Ils continuèrent le reste du jour et toute la nuit de se tenir à portée de la côte, afin de recevoir les malheureux qui, en bien petit nombre, avaient réussi à se soustraire aux recherches des Républicains. » Théodore Gaston Joseph Chasle de La Touche, "Relation du désastre de Quiberon en 1795"
Le 26 août 1795, le comte d’Artois (futur Charles X) embarqua d’Angleterre sur le navire amiral Jason son fils, le duc d’Angoulême, (futur Louis XIX, éphémère roi d’un règne de 20 minutes) et son fils cadet le duc de Berry accompagné d’une flotte de 60 navires chargés d’armes et de matériel pour l’insurrection royaliste. Pour mémoire, la flotte de Warren avait déjà débarqué les 11 et 12 août des armes et munitions en quantité importante entre Saint-Gilles et Saint-Jean de Monts.
Le Jason atteignit l’île d’Houat le 12 septembre où se tenaient encore les rescapés de Quiberon. « Le premier soin de Son Altesse Royale fut de faire procéder par l’évêque de Nantes, Monseigneur de la Laurencie, (évêque réfractaire émigré qui avait perdu son propre frère dans le combat de Quiberon) à la célébration d’un service solennel pour l’âme des victimes de la précédente expédition.[…] il réunissait en conseil le marquis de la Rosière, quartier- maître général, le comte de Vaugiraud, ancien chef d’escadre, le comte de la Chapelle, major général, le baron de Rolle, adjudant général, le commodore Warren et le général Doyle ; et, d'après un procès-verbal écrit de la main de celui-ci, les dispositions suivantes étaient arrêtées, pour être transmises à Charette […] : « Qu’à moins de circonstances qu’on ne pouvait prévoir, l’attaque de Noirmoutier aurait lieu le 17 septembre.« » Cte Du Breil de Pontbriand, « Le comte d'Artois et l'expédition de l'île d'Yeu : erreurs historiques «
« […] par une lettre datée de Belleville, le 16 septembre. Charette déclarait qu’il lui fallait au moins six jours avant d’être prêt à coopérer par un rassemblement suffisant aux projets arrêtés pour l’attaque de Noirmoutier. La date du 17, indiquée pour cette opération, lui paraissait donc un peu prématurée […] Je ne puis m’avancer sur la côte ni me porter en face de Noirmoutier qu'au préalable je n’aie enlevé les postes de Challans, Machecoul, Beauvoir et Bouin. » Il ajoutait enfin : « Si j’avais eu l’avantage d’être instruit plus tôt du plan arrêté entre vous et les généraux anglais, ou du moins, si le plan de l’exécution n’était pas aussi prochain, j’aurais pris la liberté de vous proposer un autre moyen, et d’indiquer un autre lieu où le débarquement eût pu être effectué sans aucun danger. J’aurais fait porter une division seulement devant Machecoul ou Challans, et je me serais porté avec mon corps d’armée à la pointe de l’Aiguillon, où les ennemis n’ont point de forces. Là, on eût effectué toute espèce de débarquement d’hommes et de munitions. »
« Après un nouveau conseil tenu à bord du Jason, et dans lequel la Rosière, de Rolle et Vaugiraud déclarèrent que l’entreprise sur Noirmoutier leur paraissait réalisable, Monsieur répondit, le jour même, à Charette ; mais Doyle et Warren avaient en tout la haute main. Le Prince suivait et ne dirigeait pas ; aussi la lettre que les deux chefs anglais joignirent à la sienne était la seule qui marquât les desseins arrêtés, avec quelques réserves significatives. »
La flotte arriva devant l’île d’Yeu le 30 septembre. Le comte d’Artois débarqua le 2 octobre au petit port de la Meule. Il devait habiter, pendant six semaines, la maison Cadou, à Port-Joinville et M. de Vaugiraud, fut nommé commandant du port, mais toujours sous les ordres du commodore Warren.
Pendant ce temps-là Hoche ne cessait d’accumuler des forces sur la côte. Il écrivit au Comité de Salut Public « Soyez tranquilles sur le succès des armes de la République » (de nouveau, le 4 octobre : « croyez bien que quiconque débarquera ne tardera pas à s'en repentir »; puis, le 7, au représentant Cochon : «nous attendons avec impatience que les ennemis descendent pour les exterminer. Nos braves soldats brûlent du désir d’en venir aux mains « ; et le lendemain encore (au Comité) : «Je vous assure que l’ennemi ne mettra pas impunément les pieds sur le territoire de la République ».
Or le 25 septembre Charette subit une lourde défaite lors de l’attaque de Saint-Cyr en Talmondais. Crétineau-Joly date cette bataille au 25 novembre, ce qui ne fut pas sans conséquence sur les conclusions erronées qu’il tira sur le départ du Comte d’Artois, reprises par bon nombre d’historiens. Par contre l’historien de Charette M. Bittard des Portes, nous le montre, quelques jours plus tard, réduit « à errer avec cinq ou six cents hommes, de la forêt de la Chaise à celle de Grasla et à celle d’Aizenay ».
Ce qui explique la lettre du Comte d’Artois du 5 octobre 1795. « Nous sommes ici depuis trois jours, Monsieur, et nous n’avons encore aucune nouvelle de vous. M. de Rivière a été mis à terre le 30. Il avait donné rendez-vous au bâtiment qui l’avait débarqué ; mais, depuis ce temps, il n’a plus été possible d’avoir aucune communication avec le continent, dans cette partie, et l’officier anglais qui s’en était chargé n'a vu que des troupes ennemies répandues sur la côte. Dans cette pénible circonstance, j’ai accepté le dévouement de plusieurs gentilshommes poitevins, qui m'ont offert de se jeter sur la côte et de tout risquer pour pénétrer jusqu’à vous. La saison s’avance ; la mer peut et doit devenir impraticable d'ici à peu de jours. Les bâtiments de transport et les vaisseaux de guerre ne peuvent pas prolonger leur séjour dans la rade de l’île d’Yeu ; il est de toute importance de profiter du temps qui nous reste. ...»
On ne sait si Marie-Joseph de Vaugiraud accompagnait le Marquis de Rivière ou s’’il fit partie des gentilshommes partis à la recherche de Charette, mais il est probable que ce soit lors de ces occasions qu’il rejoignit définitivement Charette.
Le 25 octobre, le ministre britannique écrivait à l’encontre du comte d’Artois :
« J’ai l'honneur de transmettre à V. A. R. le duplicata d'une lettre que j'eus l'honneur de lui adresser en date du 22 courant. Par les avis que nous avons reçus depuis ce temps-là, le ministère du Roi a été informé du danger qu’il pourrait (y) avoir pour V. A. R. et pour les troupes françaises sous ses ordres, de rester à l'île d’Yeu après le départ de l'escadre de Sa Majesté ... » Cte Du Breil de Pontbriand, « Le comte d'Artois et l'expédition de l'île d'Yeu : erreurs historiques « . Elle arriva à bord le 13 novembre.
Les atermoiements sur le lieu de débarquement, la difficulté de communication avec Charette. La faiblesse momentanée de son armée après la bataille de Saint-Cyr ne pouvant plus assurer la sécurité d’un débarquement, la volonté de Hoche de bloquer l’accès à la côte et d’attaquer l’Ile d’Yeu. L’ambiguïté des Anglais maîtres de l’opération, dont on ne sait s’ils ne souhaitaient pas davantage affaiblir la république française que de remettre un Bourbon sur le trône de France auront raison de l’opération davantage qu’une prétendue lâcheté du comte d’Artois.
Dans les Annales Historiques de la Révolution française n°211, 1973 D. Sutherland, professeur d’histoire à l’université de Maryland (U.S.A.) dans son étude sur l’expédition conclut ainsi :
« Son échec n’eut rien à voir avec la « perfide Albion » ou la soi-disant lâcheté d’Artois. Elle échoua parce que le gouvernement crut, à tort, que les Républicains étaient assez puissants pour empêcher un débarquement. »
Ceci paraît d’autant plus plausible qu’il affirme que l’objet de l’expédition était de fournir des armes et munitions et que la participation du comte d’Artois tenait du hasard.
Toujours est-il que Pierre René de Vaugiraud repartit le 21 novembre avec le comte d’Artois et le commodore Warren vers l’Angleterre. Nous avons peu d’informations sur les années qui suivirent, si ce n’est qu’il fut nommé commandeur de Saint-Louis en 1798 et qu’il y maria sa fille Marguerite le 22 avril 1799.
En 1814, Louis XVIII le fait Grand-Croix de Saint-Louis, le promeut vice-amiral et le nomme gouverneur de la Martinique.
« On assure que M. le comte de Vaugiraud, cordon rouge, et lieutenant-général de la marine royale, est nommé vice-amiral et gouverneur de la Martinique. Cet officier n'a point quitté nos Princes depuis le moment de leur départ de France. Il se distingua dans la fatale expédition de Quiberon, et fut chargé du commandement de l'île d'Yeu, en 1795, sous les ordres de Monsieur, comte d'Artois. Son fils unique est mort à la fleur de son âge dans la guerre de la Vendée ; son frère, le marquis de Vaugiraud, a péri dans les massacres de septembre, victime de sa fidélité pour son Roi. » ("L'Ami de la religion" de juin 1814)
Gouverneur des Iles du Vent
Nous détaillerons cette période de sa vie dans un prochain bulletin, en le laissant parler à travers son Rapport au Roi, qui débutait ainsi :
« J'étais encore en Angleterre lorsque le Roi daigna me nommer son gouverneur à la Martinique, en juin 1814. Accoutumé depuis 60 ans à obéir à ses volontés, j'acceptai sans hésitation. Je ne me dissimulai point la difficulté de cette mission ; j'étais loin néanmoins de mesurer toute l'étendue de celle que la différence des temps et l'incertitude des circonstances politiques pouvaient y ajouter. »
A suivre ..
Nicolas BARRIER
Sources :
- Jean-Claude de Vaugiraud (descendant de son frère Joseph) qu’il soit infiniment remercié pour toutes les références des sources fournies
- Archives de la Vendée
- BNF Gallica
- « Les guerres de Vendée » Emile Gabory
- « Dictionnaire des marins français » dEtienne Taillemite
- « L’homme d’Ouessant » P. Chack
- « Mémoires sur l’expédition de Quiberon » Louis-gabriel de Villeneuve-Laroche-Barnaud
- « Le comte d’Artois et l’expédition de l’Ile d’Yeu » Vicomte du Breil de Pontbriand
- « L’expédition de l’île d’Yeu (1795) » Donald M. G. Sutherland