Il y a trois cents ans, le 25 octobre 1722, Louis XV était sacré dans la cathédrale de Reims, prolongeant ainsi un rite ancien qui a pour origine le baptême de Clovis en 496. Nos grands philosophes du siècle des « Lumières », balayant ces vieilles cérémonies, ont érigé la « Raison » comme critère absolu de compréhension du monde et de jugement pour la conduite des hommes. La raison venue de la terre a aboli l’onction venue du Ciel. La science connaissant d’immenses progrès, il pouvait sembler que l’homme dominerait enfin la nature, ou tout au moins s’affranchirait d’une certaine soumission aux lois de cette nature. Il s’agissait bien sûr en exaltant la Raison comme seul juge, de se libérer d’un ordre extérieur à l’homme, d’un ordre auparavant imposé par Dieu, ou tout au moins par la nature oeuvre du Créateur. « Ecrasons l’infâme », mettait Voltaire dans sa signature, c’est-à-dire abolissons toute religion garante de cet ordre naturel. Nos récentes « avancées » touchant l’anthropologie, trafic d’embryons, confusion des genres, dénaturation de la famille, élimination de la vie à son commencement comme à sa fin…, ne sont que les derniers avatars de ces hommes qui se veulent démiurges. « Vous serez comme des dieux », promettait le serpent à nos premiers parents.
Depuis la première République de 1792, les constitutions données à la France participent de cette construction arbitraire. L’humanité enfin adulte n’a plus à subir le poids de l’histoire, des coutumes et usages anciens qui imposaient au peuple comme une fatalité pesante. L’homme moderne est enfin libre, l’organisation de la société résulte d’un contrat social, fruit de son seul vouloir éclairé par sa raison et librement accepté. Jean-Jacques Rousseau écrivait : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle, chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant… Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution ».
Près de deux cents ans après le règne du dernier roi de France, sous bien des aspects, pour la plupart de nos concitoyens l’avenir du pays est sombre, des crises nombreuses s’annoncent, le futur promis à leurs enfants est inquiétant. Comment en est-on arrivé là ? La « Raison » aurait-elle pu déraisonner ? On pourrait se contenter d’accuser les dirigeants qui se sont succédé à la tête du pays. Mais changer les hommes suffirait-il ? « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », écrivait Jacques-Bénigne Bossuet. Que valent les principes fondateurs de notre système républicain, au vu de la sagesse de plus de dix siècles de monarchie française ?
Individualités juxtaposées ou corps sociaux ?
Celui qui au XIXe siècle incarnait la figure de la culture universelle, laïque et républicaine, le philosophe historien des religions, d’origine bretonne, Ernest Renan (1823-1892), se gaussait de la consécration par les révolutionnaires français de 1789 de « l’individu considéré en lui-même et pour lui-même, cet être abstrait né orphelin, resté célibataire et mort sans enfant ». La révolution a dissous tout corps intermédiaire naturel pour isoler l’individu qui devient roi. Mais un roi sans royaume, ne se rattachant plus organiquement à un corps social hérité de l’histoire et de la tradition, à des institutions liés intimement à la nature humaine. Le citoyen isolé est faible, et il est facilement manipulable par toute idéologie.
Philippe de Villiers déclarait récemment dans un entretien à Boulevard Voltaire : « Depuis la fin du roman national, depuis mai 68, les générations de politiciens successifs ont offert aux Français le nouvel Évangile, l’Évangile des droits de l’homme. Ils ont pensé que cela suffirait à étancher la soif des âmes en manque. L’Évangile des droits de l’homme a lui-même dérivé. On est passé des droits de l’homme et du citoyen aux droits de l’homme capricieux, à l’individualisme parfait rejoignant le mondialisme hédoniste. Du coup, ce n’est plus fédérateur du tout. On est dans l’abstraction, on n'est plus dans les grands sentiments ».
La monarchie reconnaît les corps sociaux intermédiaires, la famille, la commune, la province, le métier préexistent à l’Etat et ont des droits qui précèdent ceux de l’Etat. Les missions régaliennes de l’Etat sont l’objet d’un pouvoir « absolu », c’est-à-dire indépendant suivant la définition première du mot, mais au-delà de ce domaine limité de prérogatives supérieures, chaque corps intermédiaire a pleine autorité dans son domaine suivant le principe de subsidiarité qui permet le développement de ces sociétés ainsi que le plein épanouissement de ses membres. Chaque citoyen retrouve ses « petits royaumes » respectés par l’Etat. Charles Maurras parle d’autorité en haut et de libertés en bas : « des libertés qui ne s’exercent pas dans l’ordre de l’Etat, ni sur le plan de l’Etat, libertés locales, libertés professionnelles, libertés religieuses, libertés universitaires, très vastes mais qui n’ont pas à empiéter sur le domaine supérieur de l’Etat, lequel doit commander aussi dans son ordre, et, dans ce même ordre, être obéi ». Mais, on pourrait nous objecter, de quelle légitimité peut se prévaloir un chef non choisi par le peuple ?
Peuple souverain ou pouvoir transcendant ?
Le principe de dévolution de la couronne est le résultat d’une longue expérience faite de sagesse accumulée, remontant aux premières expériences carolingienne et mérovingienne qui étaient imparfaites, pour s’épanouir sous les Capétiens. L’historien du droit, Guy Augé, en 1977 caractérisait la monarchie traditionnelle de la manière suivante. « La royauté légitime ne s’offre pas en panacée ; elle est une institution éprouvée par l’histoire, dotée d’un statut, d’une finalité, d’une méthode. C’est peu ? Mais c’est considérable ». Le maître mot ? L’expérience, la soumission au réel. En tout premier lieu les règles de dévolution de la couronne, précisées à chaque fois suivant les cas particuliers de descendance non directe, ont donné des lois simples finissant par devenir incontestables par leurs bienfaits garantissant la paix civile et l’unité du royaume. Rien n’était évident ni écrit au départ, mais des siècles d’observation, de raison, de sagesse et d’intelligence des hommes ont fini par assurer à notre pays dans bien des domaines une supériorité manifeste grâce à une stabilité et une prospérité peu communes.
La soumission au réel donne une tout autre finalité au pouvoir souverain qui n’a pas pour mission de « produire le droit » suivant les volontés du moment, mais de reconnaître le droit, c’est-à-dire ce qui est conforme à la réalité et à la nature des choses. Dans « L’empereur et les brigands », les auteurs Guillaume Bernard et Corentin Stemler développent cette notion capitale. « La révolution a fait basculer la souveraineté dans une conception inverse de ce qu’elle était. Le pouvoir politique n’a plus la charge de maintenir et, au besoin, de restaurer un ordre des choses ne dépendant pas des hommes ; il a pour objectif de construire artificiellement un ordre de substitution. Le roi était un juge. Le souverain contemporain a la prétention d’être un législateur ».
Toutefois, les hommes restant imparfaits par nature, quelles garanties pouvons-nous attendre du pouvoir d’un seul, d’un homme non désigné par une compétition censée élire « le meilleur » ? Le principe monarchique français, fort de plus de mille ans d’expérience, ne prétend pas désigner la personne la plus « compétente » à vue humaine, mais certainement la plus consciente de sa mission pour le bien commun, la plus imprégnée de son devoir de service de tous. En particulier, la cérémonie du sacre indique au roi comme au peuple, de la manière la plus élevée possible, le sens profond de sa mission, en y ajoutant l’appel à la grâce nécessaire pour remplir son devoir d’état.

Toutefois, les hommes restant imparfaits par nature, quelles garanties pouvons-nous attendre du pouvoir d’un seul, d’un homme non désigné par une compétition censée élire « le meilleur » ? Le principe monarchique français, fort de plus de mille ans d’expérience, ne prétend pas désigner la personne la plus « compétente » à vue humaine, mais certainement la plus consciente de sa mission pour le bien commun, la plus imprégnée de son devoir de service de tous. En particulier, la cérémonie du sacre indique au roi comme au peuple, de la manière la plus élevée possible, le sens profond de sa mission, en y ajoutant l’appel à la grâce nécessaire pour remplir son devoir d’état.

Le sacre, humilité et responsabilité
A l’occasion du troisième centenaire du sacre de Louis XV, le Prince Louis de Bourbon nous présente le caractère essentiel de cette cérémonie, définissant aussi bien l’origine du pouvoir royal que sa finalité. « Cette commémoration est l’occasion de rappeler ce que représente le Sacre, un évènement parmi les plus éminents de la Royauté. A ce titre, le Sacre compte encore de nos jours parmi les cérémonies les plus connues de l’ancienne France, et ce alors même qu’il était assez rare… C’est que le Sacre revêt une dimension politique de tout premier plan. Il permet en effet de réaffirmer, roi après roi, la transcendance sans laquelle il n’est pas de vrai pouvoir, à la fois fort et équilibré. Mettre le Divin au coeur du pouvoir permet d’abord au Souverain d’avoir toujours présent à l’esprit qu’il n’est pas un maître absolu, parce qu’il n’est pas lui-même à l’origine de son propre pouvoir, et qu’il devra par suite rendre des comptes de l’exercice de ce pouvoir devant Dieu ».
L’homme n’est pas la mesure de toutes choses. Aucune constitution de notre pays depuis 1792 n’a pu apporter autant de protection et de garantie à l’usage du chef que ce simple rappel de ses devoirs, de sa conscience, de la transcendance du pouvoir. Le sacre élève l’âme du chef, mais aussi celle de tout citoyen comme le souligne ensuite le Prince : « Cela permet aussi à ses sujets de se souvenir qu’il y a un ordre des choses, qui dépasse la volonté et les désirs des hommes, et qui ne saurait être enfreint sans péril… L’onction du Roi consacrait ainsi le bien commun comme principe qui légitime le pouvoir, celui du plus grand et du plus puissant comme celui du plus humble. Le Sacre rappelait que, tous, nous sommes responsables de nos actes. Les Rois, mes ancêtres, le savaient et le serment qu’ils prononçaient au jour du sacre demeurait pour toujours leur principale loi. C’est ce qui fit la grandeur de leur office pouvant aller jusqu’au sacrifice, comme pour Louis XVI ».
Le Prince termine par ce voeu pour un avenir rempli d’espérance. « Puisse ce tricentenaire nous donner l’occasion de redécouvrir le sens du pouvoir comme service de la communauté, d’un pouvoir qui revêt de ce fait par nature une dimension transcendante. Ainsi une nouvelle fois la commémoration servira l’action ; la mémoire servira au présent ».


Pascal THERY, président ARLV