La ville de Goritz n’a pas pour seule particularité d’être une ville à moitié italienne (nommée Gorizia) et à moitié slovène (appelée Nova Gorica), dont le mur, construit en 1947 et scindant matériellement la ville en deux, a été détruit en 2004, à l’occasion de l’intégration de la Slovénie à l’Union européenne. En effet, c’est dans la crypte du couvent franciscain slovène de Kostanjevica (anciennement La Castagnavizza) que vous pourrez trouver la tombe de Charles X, dernier roi de France. À ses côtés reposent cinq autres membres de la famille des Bourbons : Louis XIX (duc d’Angoulême, fils de Charles X) et Marie-Thérèse de France (dite Madame Royale, épouse de Louis XIX et fille de Louis XVI), Henri V (duc de Bordeaux et dit comte de Chambord, petit-fils de Charles X et fils du frère de Louis XIX) et Marie-Thérèse-Béatrice de Modène (épouse de Henri V), ainsi que Louise d’Artois (duchesse de Parme, sœur de Henri V). De plus, le duc de Blacas, fidèle serviteur de Charles X resté à ses côtés jusqu’à sa mort, loge dans une chambre adjacente.

La présence d’un roi de France aussi loin de la basilique de Saint-Denis peut surprendre. Elle résulte d’un exil, de la seconde émigration de Charles X. Le 16 juillet 1789, le comte d’Artois, dit à ce moment marquis de Maisons, se rend à Turin où il fonde le Comité de Turin pour organiser la Contre-Révolution avec, entre autres, le prince de Condé. Puis, à partir de 1799 (et jusqu’à la Restauration de 1814), il réside à Londres.

Le 8 août 1829, arrive à la présidence du Conseil des ministres le prince Jules de Polignac, ultra-royaliste, qui se voit très vite décrié par la Chambre des députés, dont une partie rédige à son encontre l’Adresse des 221 (députés libéraux de la majorité), le 18 mars 1830. Charles X y répond, le 16 mai 1830, par une première dissolution de la Chambre comme cela a pu avoir lieu en 1816, en 1824 et en 1827, puis, au vu de la victoire électorale des libéraux qui gagnent alors 274 députés, il décide d’employer l’article 14 de la Charte de 1814 et donc de rédiger lesdites ordonnances de Saint-Cloud promulguées le 25 juillet 1830. Celles-ci prévoient, entre autres, une nouvelle dissolution de la Chambre basse, avant même la réunion de la nouvelle, et sont la cause directe des Trois Glorieuses, aussi appelées révolution de Juillet. Le 2 août, alors qu’à Paris les insurgés ont donné la lieutenance générale du royaume à Louis-Philippe d’Orléans, Charles X abdique en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux (le futur dit comte de Chambord), avant de partir vers la Normandie.

Le 16 août 1830, Charles X, qui prend le titre de courtoisie de comte de Ponthieu à la demande du roi d’Angleterre, et sa suite embarquent à bord du « Great Britain » commandé par Dumont d’Urville à qui il spécifie, le 21 août, qu’il prévoit de se retirer dans la partie méridionale de l’empire d’Autriche, vers Vérone ou Venise. En attendant, il se rend au château de Lulworth, dans le sud-ouest de l’Angleterre, château mis à disposition par Sir Joseph Weld, yachtman vainqueur de la compétition nautique de Cowes, et son frère, créé cardinal après son veuvage, contre la somme de 500 livres sterling. Les finances de Charles X et de sa suite relèvent alors des 600 000 francs remis à Cherbourg par les commissaires en charge de son escorte, ainsi que des prélèvements réguliers sur les dix millions de francs qui avaient été habilement et prudemment placés au nom du duc de Blacas chez le banquier Kuts par son frère, Louis XVIII, en 1814. La demeure de Lulworth n’étant que peu au goût de Charles X, il la quitte pour le palais de Holyrood, ancien palais des rois d’Ecosse, à Edimbourg, le 16 octobre 1830.

Alors que Charles X prévoit la sollicitation de l’hospitalité de l’empereur d’Autriche François Ier, une loi d’exil est votée le 10 avril 1832 condamnant Charles X et sa famille au bannissement perpétuel et à la déchéance de leurs droits civiques. En parallèle de cela, la duchesse de Berry, après avoir été en Italie en 1831 où elle a reçu une aide logistique, tente en 1832 de rassembler des hommes autour de la figure de son fils, le duc de Bordeaux, ce qui mènera à l’ultime guerre de Vendée, et à son arrestation le 7 novembre.

La suite royale s’installe alors au château de Prague où, fait notable, François-René de Chateaubriand se rend en visite, en espérant avoir le préceptorat du jeune duc de Bordeaux. Alors que le duc de Blacas a acheté le château de Kirchberg au comte d’Orsay et offre l’hospitalité à son roi ; pour fuir l’épidémie de choléra qui sévit, Charles X se rend, en octobre 1836, avec sa suite, chez le comte Coronini-Cronberg, au palais de Graffenberg, à Goritz, avant de finalement en mourir, dix-sept jours plus tard, le 6 novembre 1836, et d’être inhumé dans la crypte de l’église de La Castagnavizza, le 11 novembre. Le duc et la duchesse d’Angoulême, quant à eux, sont les hôtes du comte de Strassoldo, et ce régulièrement jusqu’en 1845, tandis que celui qui prend le titre de comte de Chambord en 1843 revient chaque année à Goritz à la villa Boeckmann, jusqu’à sa mort en 1883.

Pendant un temps, en 1917, comme l’Italie s’était fournie en canons à longue portée, l’empereur, Charles Ier, et son épouse, Zita de Bourbon-Parme, arrière-petite-nièce de Charles X, décident de déplacer les tombeaux à Vienne, dans la crypte des Capucins, nécropole des Habsbourg, pour leur éviter d’être une cible de l’artillerie. En 1932, le monastère ayant été bombardé et reconstruit, la nouvelle crypte taillée à ce but accueille à nouveau les sarcophages. Le corps de Charles X, contrairement à celui de Louis IX mort à Tunis en 1270, restera probablement là où il a été déposé, d’autant que le comte de Chambord a déclaré dans ses dernières volontés que son corps ne fût jamais ramené en France.

Les fervents légitimistes, comme les visiteurs passagers de la ville, pourront, à la suite du comte Robert de Custine, apprécier, en pèlerins, une ville qui tient « en même temps de l’élégance italienne et de la propreté allemande » (Les Bourbons de Göritz et les Bourbons d’Espagne).

Alcanter de Brahm